18/12/2011
Carte postale de Prague
Depuis que les voyages sont morts et que même Levi-Strauss a déclaré leur fin pour laisser la place au tourisme, industrie de masse, les vacanciers glorifient le check. Pour les non anglicisants, check, c'est une vérification. Une check list résume les tâches restant à accomplir.
Dans une vie antérieure, avant Junior Castor, soit avant JC, il m'est arrivé de partir en vacances avec ces nouveaux conquérants qui avancent vers les aéroports l'allure déterminée, la carte bleue prête à frémir et les guides de voyages déjà stabilotés. Car leurs vacances ne laissent pas de place à la flânerie. Surtout les longs week-end: 4 jours, pas de droit à l'erreur, il faut foncer, baliser les 46 points à voir de la villle tout en se prenant une cuite règlementaire. 4 jours, c'est infiniment court quand on veut pouvoir y faire rentrer des anecdotes pour ses dîners à venir en étant persuadé de ne jamais y revenir car d'autres check lists avec des villes accrochées dessus attendent de par le vaste monde.
La capitale Tchèque ne se prête pas aux check. Surtout lorsqu'elle vous a été présenté par des amoureux de la ville. Ils ne vous parlent pas d'un musée ou d'un autre, mais de restos, de café, de pause billard. Perdre deux heures à boire des bières en jouant aux billards au Café Louvre est la hantise du checkeur. Quand les heures sont prises entre 16h et 18h, le sacrilège confine au blasphème. C'est pourtant ce que nous fimes vendredi sans une once de mauvaise conscience. Pas plus que nous n'en eûmes samedi en snobant les files d'attentes devant le château. Regarder la relève de la garde pour rire, certes, entrée dans les cathédrales, bien sûr. Mais poireauter dans le froid ou payer pour que l'on vous donne l'accès à certaines rues, non merci. L'après-midi, après une incursion au musée Mucha, partir avant la fin du documentaire, reporter au lendemain une hypothétique visite de plus et finir la soirée à écouter du modern jazz en se disant là aussi après le deuxième set que le troisième et dernier sera superfétatoire. Ce n'est pas de l'inachevé, de l'inabouti ou un manque de caractère bien au contraire, l'affirmation de l'émancipation des commandements du touriste. La logique est simple: le touriste discipliné revient toujours épuisé de week-end, alors que se profile le couloir des fêtes, cela ne nous paraît pas bien oppportun.
Prague est la plus belle femme du monde ravagée par deux maladies honteuses: le tourisme de masse et le capitalisme agressif. La première lui obstrue les artères jusqu'à la suffocation à certaines heures, mais le tout reste respirable. Contrairement au corps humain, il faut donc éviter les grosses artères en les considérant pas comme vitales pour aller respirer vers les quartiers périphériques. Le capitalisme agressif, en revanche, est un mal plus insidieux, c'est un cancer qui ronge la peau de la ville. Comme ces demeures majestueuses, ces rues bigarrées d'où surgissent tout à coup d'hideuses réclames pour de la bière de mauvaise qualité ou des rappels pour des concerts à la qualité suspecte. En marge de cela, sur l'île de Kampa, on trouve un musée d'art moderne désert avec une enfilade de pingouins jaunes en plastique du plus comique, une galerie photo très cosy avec d'épatants lauréats d'un concours Nikon que nous ignorions. Même malade, la plus belle femme du monde garde une prestance à nulle autre pareille et quand vient la nuit, en ce moment c'est à 16h, elle se pare de ses plus beaux éclairages pour laisser éclater son insolent sourire d'éclairage. On redécouvre alors tout ses édifices aux enluminures hésitantes toujours entre un luxe raffiné et une surcharge rococo. Ce soir, ce sera Rusalka à l'Opéra. A ce propos vive le caractère universel de la danse et de la musique, parce que la langue tchèque, c'est complexe dès le premier mot et la bière moins chère que l'eau ou les whiskys nécessaires à se réchauffer n'y changent goutte, on ne comprend pas tout. Ca doit être ça, la poésie.
08:23 | Lien permanent | Commentaires (8)
Commentaires
Les voyages déforment la vieillesse et vont bien au Castor !
Na zdravi, et bonne dictée de pivo.
Écrit par : secondflore | 18/12/2011
Ah c'est tragique; la ruelle dorée (zlata ulicka) est payante, maintenant, c'est ça ? Jusqu'à récemment, l'accès était libre, 24h/24.
Écrit par : laurent | 18/12/2011
Pour l'anecdote de retour de voyage, la mort de Vaclav Havel qui écrivit une des plus belles pages d'Histoire, on ne peut pas faire mieux. Mais c'est surtout une grande tristesse, et encore un bout de cette Europe dont on a rêvé qui se délitte.
Écrit par : Cécile | 18/12/2011
La mort de Vaclav Havel à rapporter comme anecdote de voyage c'est triste. Encore un bout de cette Europe dont nous avons été plusieurs à rêver qui se délite, en emportant celui qui en écrivit une des plus belles pages.
Écrit par : Cecile | 18/12/2011
Une fois de plus le blog du Castor m'a fait un sale coup en me laissant entendre que mon premier message (avec les fautes) n'était pas passé. D'où les deux versions d'un meme commentaire apparaissant ci-dessus. Veuillez prendre ça comme un exercice de style. Merci.
Écrit par : Cécile | 18/12/2011
@ SF: dictée redoublée voir triplée...
@ Laurent : tu comprends pourquoi on regrette le ocmmunisme ?
@ Cécile: ouais, apprendre la mort d'Havel par Internet quand tu te ballades à Prague, bizzarre...
Écrit par : Castor | 18/12/2011
je m'en vais goûter aux charmes de la Viennoise, bientôt, tellement belle qu'on en oublie qu'elle existe, je crois.
Ce sera chocolat viennois pour moi et check quand même chez Hunderwasser
Écrit par : Ema | 19/12/2011
Demande aux locaux ce qu'ils pensent du tube sur leurs valses, chanté avec quel talent par François Feldman...
Écrit par : Castor Junior | 19/12/2011
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