20/02/2012
Samba triste, mais si belle
C'est un roman noir de la première à la dernière ligne. Ca et là, quelques bribes d'espoirs se nichent dans les lignes d'un récit dur sans préméditation. Joyeux non plus. Un grand roman qui ne cherche ni à jouer sur le pathos droit de l'hommiste, ni à germinaliser 2012. Sans doute est-ce pour cela qu'on ne peut poser ce récit : difficile d'arrêter quelqu'un qui vous raconte une vie de misère, sous vos yeux, sans vous cracher à la gueule.
La Samba n'est pas celle des bars Latinos d'un Paris bobo type cette abomination nominale, "la favela chic" (que l'enfoiré qui a trouvé ce nom se rende à St Jacques de Compostelle en Vélib'), mais celle de Samba Cissé, malien en quête de Graal : des papiers français. Samba a traversé des épisodes très très très durs pour arriver en Europe. A 19 ans, il a vieilli de deux décennies quand il arrive sur notre sol. Il a déjà failli mourir plusieurs fois quand son oncle Lamouna le recueille, l'héberge et le nourrit de cette gastronomie française (l'oncle bosse dans un resto et rapporte des produits chaque soir) et de rêves de Cocagne de retour à Bamako. C'est le rêve de l'oncle. Samba, lui, ne voit pas si loin. Il ne veut pas décevoir ceux restés là-bas et s'attelle à travailler pour cela. Mais sans papiers, ce sont des métiers impossibles, impensables qui l'attendent. Des métiers qui nous permettent à nous, blancs, de bénéficier de cette société du Care. Le tri des déchets, notamment.
Samba commet une erreur majeure : il veut aller prouver sa bonne foi, le fait qu'il paye des impôts depuis dix ans et ne comprend pas pourquoi il n'a pas de papiers. Il est alors menotté et envoyé dans cet enfer moderne, le Centre de rétention de Vincennes. Il en sera tiré par un vice de procédure trouvé par la CIMADE. C'est là que la romancière apparaît sous les traits d'une bénévole bibliothécaire qui a trouvé un sens à son existence routinière en allant aider les migrants. Le reste à découvrir, mais si vous lisez les journaux, vous vous doutez que le Happy End est peu probable.
Au-delà de la trame originale, le roman de Delphine Coulin marque par l'incroyable humanité qui irradie ce roman. On pense à la monographie de Pierre Sansot sur "les gens de peu" en se disant que pour les migrants qui se tassent dans des sous-sols de la rue Labat à 900 euros, exploités par un nigérian, il n'y a que des "vies de peu" où se projeter. Passé les heures à chercher des boulots précaires, les tournées de boîtes d'intérim et toutes les heures passées à trimer, le quotidien de Samba n'est pas celui dépeint par Jérémy Rifkin quand il explique que les occidentaux sont entrés dans "la civilisation des loisirs". Non, pas le temps et pas les moyens non plus, le peu qu'ils ont part chez Western Union direction Bamako. L'histoire d'amour qui surgit au milieu du récit est belle comme une belle histoire mais impossible comme l'existence de ces migrants.
Aujourd'hui à Paris, c'est le début des vacances. Certains iront au ski, d'autres au soleil de nos DOM ou autres destinations exotiques, mais pour les 7 euros d'un livre de poche on peut voyager dans un Paris que l'on ne voit pas. Décidément, Pessoa a raison; aperçu cette fulgurance du grand homme ce matin sur les réseaux sociaux, "la littérature est la preuve que la vie ne suffit pas".
08:41 | Lien permanent | Commentaires (5)
Commentaires
Je suis allée voir un Tanger qu'on ne voit pas, un Tanger de la misère où la Zone Franche du port devient un eldorado inaccessible. C'est en salles et ça s'appelle "Sur la planche". Preuve que la misère n'est pas moins pénible au soleil, comme rêvait Charles.
Écrit par : Cécile | 20/02/2012
Noté ! Je sors d'un tunnel laborantin avec l'envie de retourner en salles obscures, mais je me demandais si je n'allais pas commencer par la dame de Fer...
Écrit par : Castor Junior | 20/02/2012
INTERDIT !! Tu vas pas aller donner des euros à un film qui fait tout pour réhabiliter l'ultra-libéralisme de Thatcher ?!
Écrit par : Cécile | 20/02/2012
Entendu... Je vais aller voir la Taupe indeed...
Écrit par : Castor Junior | 20/02/2012
Je préfère.
Écrit par : Cécile | 20/02/2012
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