29/04/2012
La Centrale
C'est un de ces romans qu'on achète pour le thème traité. Une attitude à double tranchant, parfois jackpot, le plus souvent raté. Combien de récits prétentieux et vains ont été écrit au motif seul que l'auteur avait trouvé une bonne idée, ou un bon décentrage ? Trop. Parcourir quelques lignes au hasard du mince livre (132 pages) me convainquait sans mal que l'auteur, pour son premier roman, n'avait pas commis ces péchés d'orgueil. J'achetais donc la centrale, qui traite de travailleurs précaires, d'intérimaires itinérants, en centrale nucléaire.
Le thème est là, dense, permanent, à la limite de l'oppression. Documenté, le livre nous plonge dans le quotidien de ceux que l'on expose aux radiations. Loin d'en faire des héros comme ceux qui se sont sacrifiés pour refroidir Fukushima, elle en fait plutôt de pauvres hères qui vendent littéralement leur peau : leur grande angoisse n'est pas d'être irradié, ils sont sans illusion là dessus, mais de l'être trop pour pouvoir continuer à bosser. Car il en va du temps passé dans les centrales comme pour les puces de téléphones portables, quand il n'y a plus de crédit, ça coupe. Ce couperet permanent au dessus des esprits de ces hommes seuls même en groupe et triste même quand ils rient donne au livre cette patine de réalité que l'on encense chez Zola dans les manuels scolaire.
Ecriture sèche comme pour ne pas perdre le lecteur dans des effets de manche, pour qu'il ne puisse pas se rattraper à des adjectifs chaleureux, des tournures un peu épaisses. Tout est à l'os. La psychologie du héros aussi, mononeurone. Préserver son corps pour pouvoir aller de centrale en centrale, de Chinon en Gironde, puis au Tricastin ou Flammanville, qu'importe le lieu pourvu qu'on ait le contrat. Il n'y a pas de femmes dans cet univers où l'on se protège de tout contact, y compris physique. L'alcool ne rend pas ivre, la nourriture ne remplit pas, l'émotion et les sentiments sont parfois effleurés, mais chez ces gens-là on ne montre pas monsieur, on ne montre pas. On fait. Sans se demander le but de tout cela. L'absurdité absolue est atteinte quand le narrateur doit payer de sa poche une formation pour obtenir un job qui lui revient de droit. S'il était employé d'EDF ou d'Areva, il y aurait droit, mais ce secteur archi dérégulé ne connaît plus le droit commun. Tout est sous-traité et en premier lieu l'humain. Cette inhumanité du travail est ici magnifiquement rendue. Jamais les personnages ne se glorifient d'apporter plus que la lumière à leurs compatriotes. Ils ne jugent pas, ne réfléchissent pas, sans doute n'en pensent-ils pas moins, mais le livre s'achève sans que l'on puisse avoir un indice de leurs positions.
Alors que la fête du travail arrive sur fond de polémiques ineptes, lire ce roman dur nous ramène à la question du travail, si secondaire dans les débats. On ne parle plus que de l'emploi, raréfié, pour mieux faire accepter à tout le monde un travail qui se dégrade, le roman d'Elisabeth Filhol est là pour nous faire réfléchir. C'est une des grandes vertus de la littérature.
Demain, nous ferons le grand écart. Du français à l'américain, d'une femme à un homme, d'un premier roman à l'ultime recueil de nouvelles d'un auteur qui compte plus de 50 récits. John Updike est mort en 2009, mais il a laissé une vaste, élégante et subtile oeuvre que l'on peut continuer à déguster sans regarder la date. C'est une belle victoire de la littérature sur les yaourts.
18:16 | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Ça fout la trouille!
C'est vrai que moins il y a de boulot plus on réduit ses exigences. Il y a encore quelques années, quand tu étais pigiste (ça n'a évidemment rien à voir avec un job dans une centrale nucléaire) et que les conditions de travail ou le salaire ne te convenaient vraiment pas, tu refusais. Aujourd'hui, beaucoup hésitent à dire non ne sachant pas ce qu'il y aura derrière.
Écrit par : Yola | 30/04/2012
Pour en parler d'expérience, exact. Aujourd'hui, je suis protégé, mais mes étudiants ont des propositions de papiers avec un tarif au feuillet inférieur au minimum tel que défini par le SNJ, de peur de n'avoir rien d'autre, ils prennent...
Écrit par : Castor Junior | 30/04/2012
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