27/04/2012
Propaganda
Entre deux hoquets vomitifs de cette campagne qui ne veut pas finir plus vite, malgré un ras le bol évident de 90% des électeurs, il faut bien s'évader par les livres. Thérésa l'après midi de Juan Marsé m'avait tellement emballé que j'avais bissé un peu vite avec l'amant bilingue du même auteur catalan et je ne l'ai pas fini tant c'était pénible. Je me mis donc en quête d'essais dans une autre librairie de quartier, le livre Ecarlate (excellente librairie). Là, au détour d'une étagère surchargée, je trouvais un livre dont j'ai vanté les mérites 100 fois à mes étudiants sans jamais l'avoir lu : Propaganda, d'Edward Bernays.
Je ne fais que suivre les sages préceptes de Pierre Bayard dans Comment parler des livres qu'on n'a pas lus. Il suffit de méta éléments pour parler d'une oeuvre. Savoir que Bernays est le neveu du Freud et que Stiegler en fait le premier des ennemis de classe dans l'abus des techniques de marketing suffit à parler de ce livre. Après l'avoir lu, vraiment, de nouvelles perspective s'ouvrent. Et c'est d'autant plus étonnant que Bernays ne fait que parler de choses que je suis censé observer au quotidien, avec acuité: les relations publiques, la propagande clandestine, la persuasion invisible...
Daté de 1928, ce court texte (140 pages) réédité en 2007 par Zones propose une vision glaçante du monde, déjà rencontrée chez de nombreux auteurs à commencer par leur Dieu et prophète à la fois à tous: Jeremy Bentham. Le père de l'utilitarisme n'est jamais cité par Bernays et pourtant il est derrière chaque pensée. La propagande est sous-tendue par l'idée que tout acte, toute pensée, tout sentiment peut être réduit à sa seule dimension d'efficacité. D'accord, le don n'est jamais gratuit, mais rarement le cynisme n'aura été poussé aussi loin que dans cet opuscule. A lire Bernays, si Bernard Tapie est coupable de quelque chose, c'est de philanthropie. Bernays était un homme de l'ombre qui conseillait des gouvernements ou des lobbys (banques, producteurs de patate, textile...) ce qui est infiniment plus dangereux que ceux qui assument la promotion de seules marques. Bernays retrace un grand nombre d'exemples édifiants montrant comment avec un peu de bonne mauvaise volonté et de moyens, on peut faire fumer les femmes, vendre n'importe quel candidat à la présidentielle ou porter du velours. Ce qui est troublant, le livre fermé, c'est justement cela : il n'y a pas de différence chez Bernays. Sentiment, marque, produit, armes de guerre, tout est marketable. Pire, qui ne rentre pas dans cette logique est un hérétique. Ainsi, sur la politique, on trouve cela : "la politique fut la première grande entreprise américaine. Aussi est-il assez piquant de constater qu'alors que l'entreprise privée a parfaitement assimilé les enseignements de la politique, la politique elle-même n'a pas appris grand chose des méthodes commerciales de diffusion de masse des idées et des produits". 84 ans plus tard, force est de constater que les politiques ont lu Bernays et que c'est bien triste.
Reste l'éternelle question avec les classiques; leur actualité. Comment un ouvrage écrit en 1928 et fondé sur les outils permettant aux décideurs de parler au plus grand nombre de personnes possibles peut-il être toujours valable quand en 1928 la télévision et surtout Internet n'existait pas, n'étaient même pas dans les limbes ? Mon pari est que si Bernays vivait encore il serait sans doute en train de former Patrick Buisson et Karl Rove qui ne lui arrivent pas à la cheville. Pas tout à fait visionnaire (l'homme prévoyait le déclin de la radio) Bernays maîtrisait si bien les outils dont il disposait que je ne préfère pas penser à ce qu'il aurait fait de Twitter et Facebook. Je dois ce pronostic à une phrase anodine, vers la fin de l'ouvrage: "d'aucuns rétorqueront bien sûr que la propagande finira par causer sa propre perte, dans la mesure où le grand public en comprend de mieux en mieux les mécanismes. Je ne suis pas de cet avis. La seule propagande qui perdra en crédit au fur et à mesure que le monde deviendra plus subtil et plus intelligent est celle qui est fallacieuse ou foncièrement antisociale". En cela, la prescience de Bernays est remarquable, il sait que les dominants le demeurent car ils ne se reposent pas sur leurs lauriers et cherchent toujours des moyens plus sibyllin de persuader. Egalement, malheureusement, et les résultats du 22 avril vont en ce sens, en jouant contre l'éducation, car un peuple véritablement éclairé ne pourrait produire ses résultats.
Demain, nous retournerons à Ménilmontant pour refaire le monde autour de quelques bouteilles, de quelques cartes à jouer et qui sait si tout cela ne finira pas à nouveau avec des oreilles de lapin...
16:59 | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
Message codé : venir avec jeu de cartes, concours d'oreilles de lapin ouvert... et le sujet de discussion sera Propaganda (tant pis pour ceux qui ne l'auront pas lu).
Écrit par : Cécile | 27/04/2012
Bah, on sera 5, un petit tarot quoi ! Tout le monde peut en parler, même sans l'avoir lu (mais c'est mieux ! )
Écrit par : Castor Junior | 27/04/2012
Yep, le tarot c'est bien... pour voir l'avenir ;-)
Écrit par : Cécile | 28/04/2012
Les commentaires sont fermés.