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11/05/2012

Larmes fatales...

9782355220395FS.gifD'abord, un mea culpa. Ne plus jamais parler d'un livre que je n'ai pas lu, alors que j'ai dépassé les limites éthyliques admises en Pologne et qu'en face de moi une libraire cultivée et peu conciliante en matière de débat l'a lu, elle. S'en est suivi un échange où je sentais peu ou prou que je m'enfonçais dans le ravin du raisonnement et que ni ma débattante, ni mon amoureuse consternée ne viendrait me sauver. Bon. Je sauvais à peine les apparences. Dès le lendemain, j'allais acheter ledit livre et l'entamais. Surlendemain, fini. Sans doute Mona Chollet n'aimerait-elle pas ce rapport compulsif à son travail, mais difficile de lire autrement "beauté fatale, les nouveaux visages d'une aliénation féminine" (la Découverte). 

Ensuite, donc, un second mea culpa. J'ai dit des conneries, c'est un très bon livre. Je pourrais longuement disserter sur les quelques anecdotes avec lesquelles je suis en désaccord pour montrer que j'ai bien lu. Que les "pauvresses" auxquelles elle fait parfois référence en évoquant les bénéficiaires d'actions de reconstruction de l'estime par des soins de beauté me semblent plus que consentantes et que ces actions sont louables. Passons. 

Un défaut tout de même à ce livre, qui énerve d'autant moins qu'on le lit vite mais d'autant plus pénible que c'est probablement volontaire;  assez mal écrit. Comme si les écarts avec le beau style et la bienséance renforçaient la crédibilité de l'ouvrage. Comme si le style oral ou les emprunts populaires conféraient à l'ouvrage une tonalité de rue plus puissante pour mieux démonter les salons qu'elle descend. Là dessus, je suis dubitatif. Je trouve un peu chagrin que la journaliste du Monde Diplomatique n'ait pas mis plus de soin à se relire que le Castor pour des notes de blog (il n'y a pas de fautes, d'accord, mais ça transpire le bâclé quand même) et pour un ouvrage ayant vocation à perdurer, c'est dommageable. 

Qui reste, donc. Car son enquête est implacable et n'a pas de raison de perde en force dans les années à venir. Sauf prise de conscience planétaire de la gravité des dérives d'une industrie qui fait rêver, le monde glaçant que nous dépeint Chollet demeurera. Elle a enquêté sur le pourquoi, le comment, et le combien de l'industrie de la beauté sous un angle nouveau : comment, à une époque qui n'a que l'égalité homme/femme à la bouche, les canons, standards et autres clichés que nous vendent les oeuvres mainstreams rabaissent les femmes, y compris (surtout ?) les égéries néoféministes de sex and the city. Le point de départ de son livre s'inspire d'une autre série, Mad Men sous titré "quand les hommes étaient des hommes et les femmes portaient des jupes"; l'auteur nous montre comment en réalité les clichés se sont décalés, renouvelés ou transformés mais toujours là, donc. Percutant.

Implacable aussi les réquisitoires au sujet des corps en forme de cintres qu'on nous vend. L'univers de la mode est montré sous un jour peu glorieux, pour les mannequins comme pour les stylistes qui pensent tous en gros comme ce que dénonçait Desproges dans son sketch "ma soeur, marche pas dans la mode, ça porte malheur" avec Pietro Saltani s'exclamant "ce n'est pas au vêtement de s'adapter au corps de la femme mais au corps de la femme de s'adapter à la coupe des vêtements". Pas d'industrie sans propagande, sans caisse de résonance légitimant ses déviances. Vogue, Cosmo, les blogeuses mode et Anna Wintour en prennent pour leur grade mais c'est ELLE qui encaisse les charges les plus rudes pour sa volonté de vouloir être féministe et rétrogade à la fois. Rétrogade sur la vie des femmes telle que vendu dans l'hebdo où les femmes sont hystériques autour de leur It bag, adepte du pilates et de la salade de noix... Le Castor lisant souvent ELLE, je ne pouvais m'empêcher d'éprouver un brin de culpabilité mais sans pour autant donner tort à Chollet. Mais ce ne sont pas les chapitres les plus percutants.

Ceux-ci sont ceux consacrés au triomphe de la beauté blanche. L'Oréal et autres en prennent pour leur grade. ELLE encore et les autres magazines qui trafiquent leurs unes. Que les blanches soient trop mises en avant c'est une chose, mais le plus tragique est le blanchiment des chinoises, des indiennes et des africaines. Les yeux débridés en ambulatoires, le fait que les femmes noires en France ont un budget beauté 9 fois supérieur aux autres pour se défriser les cheveux sans parler de dépigmentation. Tout cela fait froid dans le dos. Heureusement, l'auteur ne nous laisse pas sans espoir, elle conclut son oeuvre par une preuve de bon sens issu d'une femme au cou dit de girafe "si tu trouves mon cou trop long, c'est un problème pour toi, pas pour moi", avant de rappeler à ses détracteurs qu'elle n'est pas pour s'habiller en sac, mais que l'un n'est pas exclusif de l'autre: "bien sûr il n'y a aucun mal à vouloir être belle, mais il n'y en a pas non plus à vouloir juste être". 

Demain, nous serons en week-end sans la trêve de la campagne officielle. Alors, puisque les commentateurs analyseront la façon dont François Hollande dit bonjour ou ouvre les portes pour savoir qui de Martine, de Jean-Marc Manuel et les autres sera où, nous fermerons tout pour lire du jack London.

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