20/06/2012
L'inquiétante main aveugle des régulateurs de marché
Alors que les lycéens de filière ES passent aujourd'hui l'épreuve d'économie et trufferont sans doute leurs copies de références à la célèbre "main invisible du marché" chère à Adam Smith, quid de la main du politique chargée de la retenir ? Si je devais plancher sur le rapport entre ces deux mains, je crois que j'évoquerais aussi une parole religieuse (je crois que c'est Saint Augustin, mais j'ai beaucoup raté le catéchisme...) "Mais toi, quand tu fais l'aumône de la main gauche, ignore ce que donne ta main droite" qui traduit mieux que beaucoup d'analystes contemporains les injonctions contradictoires qui traversent les politiques en termes de finances.
Que le marché soit mû par une main invisible, cela ne fait plus guère de doutes depuis que les crises éclatent les unes après les autres depuis 1973. Mais quid de celle du politique qui doit aller chercher cette main pour mieux la guider ? Agit-elle elle aussi à l'aveugle dans un marigot de technicité où il n'est plus possible d'avancer avec clairvoyance ?
De ce point de vue, la création de l'ONG Financewatch (http://www.finance-watch.org/) m'avait mis la puce à l'oreille. Initiative portée par plusieurs responsables politiques dont l'eurodéputé d'alors, depuis devenu ministre du développement (Pascal Canfin), elle consistait à demander aux experts de venir apporter des éclairages aux politiques sur les évolutions de la finance mondiales. Celle ci devient trop complexes, avec plus d'un tiers des décisions entièrement automatisées, portées par des algorithmes informatiques, pour qu'une vigie humaine y comprenne quelque chose.
Le contexte n'est pas neutre dans lequel Financewatch est née: jamais l'humanité n'a produit autant de richesses et jamais les Etats n'ont été aussi endettés. Face à ce constat plus qu'ennuyeux pour les politiques, l'impératif de traque des abus, injustices et inégalités en tout genre fait figure de programme politique commun. En France, la gauche est passée, il lui faut donc montrer instamment des signes forts à la nation en quête de justice. "Mon adversaire n'a pas de nom, pas de visage, mon adversaire c'est la finance", disait le candidat depuis élu au Bourget. La finance, charge donc à Bercy d'aller redresser les torts, de jouer les snipers de l'égalité en tirant sur les abus. Problème, et si le sniper devait passer la visite médicale pour vérifier sa vue avant de tirer ?
En effet, la première cible visée par quelques hauts fonctionnaires de Bercy a de quoi inquiéter. Ils veulent diminuer de moitié l'avantage fiscal apporté au mécénat d'entreprise. D'après ADMICAL, l'association représentante des entreprises mécènes, ce secteur représenterait 2 milliards d'euros. Pas même une TVA sur la restauration, 1/30ème de la fraude fiscale... Même d'un ordre quantitatif, cette mesure n'avait rien de prioritaire, chers snipers fiscaux. Mais surtout, surtout, la décision de ces quelques têtes dites bien faites de Bercy relève du scandale dans la mesure où ils assimilent le mécénat d'entreprise à une niche fiscale. Or, le mécénat est régi par une loi du 1er août 2003 (dite loi Aillagon) stipulant que l'avantage fiscal accordé aux mécènes l'est dans la mesure où le don relève de l'intérêt général. C'est à dire, garde fou solide, que les bénéficiaires de ces dons soient en mesure d'apporter des rescrits fiscaux montrant qu'elles relèvent bien dudit intérêt général. Dans cette mesure comment continuer à parler de niche fiscal ? Sans doute trois crétins qui ont entendu qu'il y a 20 ou 30 ans, le mécénat était "la danseuse du président" et permettait à des chefs d'entreprise de verser dans l'abus de bien social. Un déni de réalité pur et simple dans la mesure où les dons d'entreprises vont aujourd'hui à des milliers de petites ou grosses associations, que les comités chargés des dons comportent souvent des personnalités qualifiés issus de ce secteur de la solidarité... Que ces entreprises aient des finalités internes et externes, de cohésion des équipes ou de communication, c'est entendu. Mais sont-elles fautives pour autant ?
Au-delà de l'erreur politique manifeste, cette décision choque dans la mesure où elle illustre tristement la déconnexion du politique avec la société. Comment peut on assimiler ces mesures salutaires à une niche fiscale. Si cette cartouche part, les dégâts seront pour les finances publiques : les deniers qui n'iront pas à la Croix Rouge, aux épiceries solidaires, aux associations d'insertions, au tutorat d'élèves méritants, aux personnes âgées et handicapées, au soutien d'associations luttant contre l'illétrisme, on les oublie ? Evidemment que non, un Etat comme la France ne peut laisser ce tissu mourir et devra payer lui même ce qui pour l'heure est pris en charge par des acteurs privés, ce qui permet de tisser des liens au delà du chèque. Détruire cela relève d'une intelligence plus que discrète... Espérons que l'infatué à la tête de Bercy ait un éclair de lucidité...
PS: la photo en miniature est du Castor, c'est une oeuvre d'art aperçue au musée de la Reina Sofia, non loin de Guernica... Le rapprochement des deux m'avait clairement décroché un sourire.
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