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27/06/2012

Indéniablement, ça mérite la lecture

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Voilà une question qui fait sens, comme disent les gazettes. Outre l'interrogation posée, l'auteur me poussait à me saisir du livre. J'aime  Michaud, au moins le politologue. Matois au possible, roué, il demeure insaisissable, hors des écrans radars des chroniqueurs politiques. Dans ses réflexions sur la violence ou plus récemment, la jet set, il est souvent moins bon, mais loin d'être dénué d'intérêt. Je croyais que ses essais sur le langage politique resteraient ce que je préférerai de lui, la lecture de qu'est ce que le mérite?, m'inclina à changer d'avis. Je dévorais le Michaud philosophe. Et pourtant, le pari était loin d'être gagné car je ne voulais pas de ce livre pour des raisons évidentes tenant à l'auto-analyse.

Loin de moi l'idée de me livrer à une séance d'auto-flagelation à la Nourrissier. Juste, la notion de "mérite" n'est pas nécessairement celle avec laquelle je suis le plus à l'aise. Sans doute est-ce pour cela que je me suis précipité sur le livre et que j'ai préféré lire deux trois romans (dont l'excellent "ballade de Lila K de Blandine le Callet) avant d'avaler l'essai.

Pourtant, le mérite c'est le fondement de la République universelle, du III ème siècle, ce qui fait qu'une fois que l'on est né libres et égaux, on peut avancer. Le mérite est donc souvent scolaire (avec médailles et parchemins à l'appui) puis professionnel où vos aptitudes vous distingue des autres. Le propre du livre de Michaud est de nous montrer qu'aujourd'hui le mérite tourne trop autour de ce qu'il faut payer et à ce titre, c'est un chapitre de plus dans l'encyclopédie navrante des valeurs avalées par le libéralisme. Avant de revenir sur le livre, donc, ce qu'il m'a suggéré de moi n'est guère réjouissant. 

Après une scolarité plus que chaotique, je me suis retrouvé dans un champ professionnel où les codes de naissances, les livres et références servent de passe partout pour les portes invisibles quand on s'est planté sur la porte d'entrée. Exit le mérite, donc, la naissance étant l'anti mérite, comme l'illustre Beaumarchais juste avant 1789 dans la tirade d'Almaviva où il fustige ceux qui n'ont comme mérite que d'être nés. Deuxième couac au niveau professionnel quand, s'il est méritoire de se lancer en indépendant dans un microcosme aux contours incertains, la gloire est moindre quand on a un toit assuré et pas de loyer à aller chercher. Au pire, on mange des pâtes (j'adore ça) et on cesse d'acheter costumes et chemises (j'avais de la marge...). Là encore, le mérite professionnel atténué par la naissance. Je n'irais évidemment pas jusqu'à dire que c'est minant, il y a des limites à l'indécence, mais toujours est-il que ce cadre autobiographique explique ma crainte naturelle à l'égard du mérite.  

En cela, le mérite est une notion déprimante, car elle est aveugle au talent où autre, vous renvoyant inexorablement vers la naissance pour mesurer à quel point vous vous êtes élevé par vous même. Le mérite, c'est un peu l'aigle qui bouffe le foie de Prométhée ad vitam eternam. Un supplice qui rappelle ses limites à une société trop inégalitaire, en somme.

Parmi les étudiants à qui je donne des cours, nombre d'entre eux sont privilégiés. J'admets que l'objectivité de mise du professeur s'estompe parfois avec un caractère délicieusement émollient, lorsque s'opère sous mon crâne une ligne de fracture entre ceux qui partagent ma mauvaise conscience de bonne classe et ceux qui croient dur comme fer qu'ils sont sur la même place que les autres sur la ligne de départ. Ils sont plus nombreux à être titillés par leur conscience que ne l'affirment les hebdos sur les enfants dorés. Ce qui est étonnant, c'est de voir ces doutes, ces interrogations initiales s'estomper lorsqu'ils commencent à travailler. Comme si le fait de travailler du soir au matin valait obligatoirement viatique vers ce fameux mérite. Etrange, mais bon...

Pour revenir au livre, Michaud confie en introduction qu'il a glissé malgré lui vers une lecture cynique de la réalité et lentement changer le cadre de son étude. Je crois en avoir décelé un bon exemple vers le tiers du livre lorsqu'il écrit "l'idéal est celui du mérite, mais la réalité est celle des avantages acquis et des statuts protégés, y compris quand ils sont défavorables à ceux qu'ils protègent en les maintenant dans leur trappe". Sur ce point, difficile de donner tort à Michaud. Après une première année d'indépendant où je m'escrimais à envoyer des CV avec des résultats pas même contrastés (aucune réponse) il est vrai qu'aujourd'hui, je me contente de décrocher mon téléphone ou de répondre à mes mails et ne suis pas certain de vouloir retourner en arrière car j'aurais trop de doute sur le fait que sans cesse, d'autres ne joueront pas le jeu.

Michaud explore le mérite sous de nombreux angles comme le fait que la réputation précède le mérite: on veut être opéré par tel médecin, défendu par tel avocat, dépanné par tel serrurier et non leurs cousins. Là où cela devient coton, c'est encore et toujours dans la valorisation de ces mérites et leur reconnaissance trop précoce en France. En cela, la lecture de Michaud succède idéalement à celle de Crozier, il souligne que le grand mal Français est de donner un blanc seing à une caste de jeunes gens : au prétexte qu'ils étaient bons élèves à 18 ou 19 ans, leur avenir est tout tracé jusqu'à 60 ans et pour eux, le mérite s'arrête à cet âge tendre. 

Au fond, le livre de Michaud interroge parfaitement ce que nous traversons aujourd'hui. Le mérite se quantifie en numéraire, jamais au regard de l'utilité sociale. Il est désormais indissociable de son corollaire moral, la décence, au sens où Orwell l'entendait dans sa common decency. Patrons aux velléités de quitter la France, joueur de foot insultant à tout va, où parachutés artistiques de naissance, tous ceux qui suscitent chez nous un sentiment d'indécence sont avant tout ceux qui s'éloignent de l'ordre du mérite. Pour mieux penser tout ce qui part en vrille de nos jours, l'opus de Michaud mérite indéniablement le détour par une librairie (n'en déplaise au sieur Montebourg qui veut redresser la France avec l'Amazonie). 

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