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25/08/2012

De l’art de transformer un Waterloo perso en illusoire Arcole pro.

 

waterloo.jpgJ’aurais aimé que Bertrand Guillot (www.http://secondflore.hautetfort.com) vive cette scène. Elle était pour lui, son œil, ses incisives. Mais il n’était pas là, tâchons de le suppléer au pied levé.

 

C’était à Lao Cai, faubourg de Sapa. Une gare à l’ambiance électrique, les minibus venaient de vomir un flot de touristes comme chaque jour à 18h pour les trains de nuit, ne pas les rater. Le chiffre de la journée se fait sur ces deux heures. Nous baffrons sans faim, pour ne pas manquer dans le train. Au menu, du bœuf trop cuit avec du céleri trop mou et de la bière tiède. 19h, les portes s’ouvrent, ruée vers l’or glacé du train conditionné. Bloqué par des vietnamiennes à l’invraisemblable cohorte de valises, je chantonne Brel (ce ne fut pas Waterloo, non, mais ce ne fut pas Arcole, ce fut l’heure où l’on regrette d’avoir manqué l’école. Au suivant, au suivant). C’est un bordel ambulant aussi, mais pas d’une armée en campagne, juste pour monter. Nous voilà, une cabine pour 4. Vide. Premier accroc, la porte ne ferme pas, mal vissée. Si ce n’est que cela. Rapidement, un second désagrément se fait sentir qui coule le long de nos dos, sur nos fronts, partout. Nous sommes comme en fusion. Une main part vérifier l’air conditionné, mais celui-ci ne laisse s’échapper qu’un très mince filet d’air à peine frais. Damned. Soudain, des cris. Incessants, oppressants aussi. Je sors Ce sont nos camarades vietnamiennes qui ont empilé leurs valises en une pile digne des plus belles parties de Tétris. Elles ont tout juste trouvé à se glisser dans les couchettes. Incroyable. Je profite d’être debout pour gueuler pour la clim’ (qui finira par être moins pire au bout de trois requêtes et du fait que je ne bouge pas jusqu’à l’arrivée du responsable). Puis, un autre tintamarre se fait entendre. Moins strident, plus bravache, et dans une langue connue de nous deux.

 

Au bout de dix minutes, sans les avoir aperçus, nous savons tout de cette famille de cinq français embarqués dans un train deluxe avec une couchette cassée. Le drame. Ils s’insultent entre frères et sœurs. La mère surenchérit (« mais toi ta gueule »), la sœur n’écoute pas et relance son frère (« mais dégage, dé-gage ») alors survient le père, celui qu’on n’attendait plus. Il voudrait avoir l’étoffe d’un général en chef, mais les généraux ne descendent pas sur le champ de bataille. Là, il y a urgence et il ne sait que faire. Il lance à sa femme « je vais passer quelques coups de fils, on ne paye pas ». Nous les entendons, depuis le couloir, ces fameuses réclamations qui, à 20h passées, aboutissent sur un répondeur ou une hotline chargée du service minimum des urgences et qui s’en fout de sa couchette cassée. Ingratitude.

 

Il bat en retraite, mais la guerre est encore plus forte avec la clim’ en rade. Paul, l’aîné, se ballade torse nu, en ondulant des cils et cassant des poignets ; il voudrait faire son coming out maintenant mais entre la mater hystérique et le père aux fraises, il voit bien que ce n’est pas le moment. L’heure du choix arrive, ils sont 5, seules 4 couchettes dans un wagon. Paul pourrait se sacrifier « mais je veux prendre mon livre ! » « tu nous fais chier avec ton livre » lui rétorque subtilement sa mère. Le père se redresse à nouveau comme la justice et bouge ses affaires. « Dormez, dormez je vais passer quelques coups de fil ».

 

Là aussi, nous n’en perdons pas une miette « Oui Jean Bernard, c’est Laurent, oui je suis dans un train de nuit de Sapa pour Hanoï donc la connexion c’est pas terrible ». Effectivement, ça coupe. Il en appelle un autre « Geoffrey ( ?), oui c’est Laurent, j’ai eu Jean-Bernard. Je suis dans un train (etc…) oui, tu sais on ouvre en Russie et on marche super bien en East. Ouais, attend je vais regarder sur l’Iphone et après je travaillerai off line, je t’appelle demain. T’es à Kuala Lumpur ? Ok, il n’y a qu’une heure de différence. Ouais, à demain salut ».

 

Et voilà notre cadre en short et polo qui revient dans notre compartiment, le torse gonflé de ces victoires personnelles (on ouvre en Russie quand même). Il nous sourit, sort deux trois banalités et s’allonge. Il sort un livre plein de post it (un manuel de management) et tripote sur son Iphone, son casque sur les oreilles. J’aperçois une série de tableurs excel qu’il fait défiler. Il s’endort plein de rêves (d’autres ouvertures, Singapour, pourquoi pas le Nigeria). Au matin, notre cadre surbooké n’a pas quitté ses rêves, nous partons et j’aperçois un chauffeur vietnamien, un panneau à la main, l’air impatient. Pris de pitié, je me tourne vers notre cadre et lui demande si le nom sur la feuille est bien le sien. Il opine, « nous sommes déjà à Hanoï ? » « Oui avec une heure de retard, ils ne nous ont pas réveillés voilà tout, allez bonne journée ». Il me rend mon sourire, mais le sien est fébrile. Et pour cause, alors que nous nous apprêtons à descendre, déjà les gueulantes s’échappent du compartiment familial « putain fais chier, faut toujours qu’on se grouille, t’aurais pu nous réveiller avant »… Qu’elles lui sembleront longues, ces heures avant d’appeler Kuala Lumpur…

 

Commentaires

Pas besoin de Bertrand G. Tu t'en sors admirablement bien :-)

Écrit par : Cécile | 25/08/2012

Je valide ce commentaire !
Bon vent, à défaut de clim^

Écrit par : secondflore | 26/08/2012

Ah la vie de famille, c'est merveilleux!
«Compte rendu» très réussi; j'ai beaucoup ri

Écrit par : Yola | 27/08/2012

Les commentaires sont fermés.