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30/08/2012

Réanimation

9782246746614.jpgEn septembre, les lettres se conjuguent à l'impératif de chiffres. Ils mentent tous, comme disent anecdotes ou bons mots à l'appui, Alfred Sauvy, Mark twain ou Churchill (citations sur commande...). Tout ce que l'on sait c'est qu'il en sort trop: 600, 700 ? Bref, une tonne de nouveaux romans en septembre comme chaque année sur des tables de librairies qui rapetissent à cause du foncier galopant. Allez vous retrouver là dedans quand la presse vous aiguille sans cesse vers les 20 mêmes titres...

Alors, il faut se déplacer, soupeser les carcasses de papiers comme d'autres les palourdes ou les huitres, voir ce qu'il y a dedans, renifler, chercher. Perle ou pas ? Là, le livre ne précisait rien. Ni "roman" ni "récit" tout juste la collection permettait-elle d'avancer qu'il s'agissait d'un texte de fiction. Mais rien de plus, pas même un léger avertissement au lecteur pour lui indiquer que la narratrice pourrait, détails de bios furieusement recoupants, ressembler à l'auteur. Qu'importe. J'avais beaucoup aimé tout ce que j'avais de lu de l'auteur, le thème semblait dur, mais qu'importe, banco.

Dès les premières pages, exit les questions sur la nature du texte. Ce récit magnétique est bien au-delà de tous ces débats sur l'auto-fiction et autres querelles germanopratines. Il vous emporte car cela pourrait vous arriver. Heureusement, ce n'est pas le cas. Enfin je vous le souhaite, car après 20 ans d'idylle fiévreuse avec Blaise, la narratrice suffoque un matin de voir son bien aimé commencer à se déformer littéralement. Son bel amant se mue peu à peu en Elephant Man. Passé l'étonnement, la consternation, l'inquiétude, le dégoût et l'énorme trouille, elle atterrit aux urgences. Le diagnostic est aussi implacable qu'incompréhensible : cellulite cervical. Quoi ? Une peau d'orange vers la lulibérine ? Sauf qu'il n'est pas de régime prescrit par ELLE pour réchapper à cette cellulite là. Seule une plongée dans le coma artificiel peut vous sauver. Et prolongée la plongée, inutile de vous dire que Jacques Mayol est un aimable plaisantin avec sa dizaine de minutes. Ici, on compte en jours. Jours pendant lesquels l'être aimé depuis deux décennies n'est plus. Pas plus vivant qu'une grande algue, pas vraiment mort non plus.

Pendant plus de 200 pages, Cécile Guilbert s'aventure sur ce filin narratif avec un brio inouï. L'auteur d'essais sur Guy Debord et Laurence Sterne ou d'un très beau roman ("le musée national") s'est aussi apparemment hasardé à un livre sur Wharol qui revient souvent dans le présent livre. Bon. Personnellement, ces histoires de soupes en boîte ou de Marylin en croûte me navrent un peu mais passons. Dans cette histoire, foin de Wharol, d'éruditions de tout siècles, de tous horizons, Guilbert se met à nu avec une rare impudeur et nous tournons les pages avec avidité. Cette absence, ces cheveux sur l'oreiller, ces amis qui ne sont plus là quand ils devraient pourtant l'être, nous pouvons tous les voir. Elle parle d'une maladie qui ne concerne personne ou presque, orpheline absolu. Si la maladie est inconnue, la douleur ressentie parle à tous. La douleur est un langage commun, l'espérance et les souvenirs aussi. Guilbert est polyglotte absolue, elle parle le dialecte de ces sentiments sans édulcorants et nous inhalons cela en grandes bouffées jusqu'à la suffocation, jusqu'à la fin du récit. Quand nous l'atteignons, un peu exténué, le doute n'est plus permis : nous venons d'explorer un grand texte.

Peu importe le qualificatif que l'on met dessus, peu importe que l'auteur ait choisi un "happy" ou sad" ending, en refermant "Réanimation", on se rappelle que la mission des écrivains est de nous rappeler leur futilité dans un univers où les images disent souvent tout mieux qu'eux. Je ne regarderais pas un film tiré de "Réanimation", ce serait pompeux, tire larme et pénible. Je ne suis pas allé voir "le scaphandre et le papillon" ou "mar adentro", en lire les synopsis m'ont suffit. Trop évident, j'imagine par avance les plans rapprochés ou distants et je baille devant la facilité du procédé...

Mais en livre, cela confine à la très soutenable (plus que cela) légèreté du récit. Un ange de la création est passé par là, qu'on ne cherche pas à l'attraper. Bernard Frank écrivait que l'on ne progresse pas en littérature, relançant le débat lancinant sur les inégalités. Je ne sais pas où était la ligne de départ de Cécile Guilbert, mais elle est montée très très haut avec ce livre. Sans doute la questionnera t'on sur ce qu'elle a mis d'elle même dans ce livre ou sur la morale qu'elle a voulu distiller. Vastes questions... Sans importance, ce qui compte c'est le reste, ces 250 et quelques pages de littérature.

Demain, nous reprendrons notre souffle en avançant un peu plus dans le journal de Jules Renard.