05/10/2012
Le bonheur, c'est simple comme un bout de shit
Nous partîmes à deux, mais par un prompt renfort, nous fûmes 8 pour rentrer à bon port parisien par le tram de minuit. Le volume sonore sur le quai de la gare de Puteaux indiquait que nous étions des citoyens responsables et que personne n'avait eu la mauvaise idée de narguer la maréchaussée avec un taux d'alcoolémie non admis par les éthylotests.
Dans le wagon désert, nous huit donc et deux jeunes. Vraiment jeunes.
Peu de choses nous séparaient les uns des autres, mêmes jeans et baskets et téléphones prétendument intelligents. Seul l'entémologue attentif notait la différence entre nous à l'aune des signes extérieurs de jeunesse : ils étaient toutes capuches et acné dehors. Leurs yeux plus rougis que les nôtres, leurs gestes plus gourds, la voix plus éraillée et libérée. Surtout, alors que nos réflexes de trentenaires raisonnables nous avaient poussé vers le dernier tram pour regagner nos pénates et nous lever tôt le lendemain. Eux, fondaient vers la Grande Arche avec avidité, la nuit leur appartenait et nous ne leur disputions pas.
Soudain, ils firent une connerie de leur état plus que de leur âge : passer la tête par la fenêtre. Nous haussions un peu la voix pour les en dissuader, sans trop y croire sachant l'absence de risque vues les gares desservies, mais pour l'exemple quoi. Ils nous répondirent, narquois "mais y a rien à craindre, tu veux qu'il arrive quoi ?". Mais soudain, de derrière nous, survint un homme bien plus inquiété par les facéties des deux godelureaux que nous. Il avançait dans la rame avec la démarche chaloupée de celui qui a éclusé une baignoire de demis à l'apéro. Les ravages d'une consommation peu modérée rendaient difficile de se prononcer sur son état civil, mais sans doute une cinquantaine d'années. Il alpagua à son tour les jeunes avec la même absence de résultats que nous. Il nous regardait, désemparé, et nous ne lui donnions aucune empathie en retour; ingrats que nous fûmes. Alors, il sortit de sa poche de jean une superbe boulette de shit. Pas du shit de Barbès ou de la rue Pia de Belleville, du truc trafiqué à mort. Cette splendide bille brune venait sans doute d'une malette diplomatique ou d'une production artisanale. "Hé les jeunes, si vous arrêtez vos conneries, je partage mon shit" les yeux rougis d'un des deux jeunes sortirent de leurs orbites. Il alarma son compagnon de bamboche et, tels deux rats séduits par le joueur de flûte de Hamelin, ils suivirent, fascinés, le nyctalope fumeux.
Arrivés à la Défense, l'évidence nous frappa au coin de l'anecdote : le malaise des jeunes, l'absence du lien social, l'intergénérationnel, tout cela peut se résoudre d'un bout de shit. On vit, définitivement, une époque formidable.
10:49 | Lien permanent | Commentaires (0)
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