30/09/2012
Ces hypers travailleurs asséchés, éloge de l'aération mentale.
"Non, désolé, je crains de ne pas pouvoir. Je n'aurai pas le temps, trop de travail". Cette phrase, j'ai mis du temps à la prononcer. Trop angoissé de rater l'essentiel, de ne pas accumuler de nouveaux émoluments avant que la grande récession ne survienne. Complètement acquis à l'idée que ce qui s'envole aujourd'hui ne revient jamais demain. Pris par la peur, quoi.
Depuis que je me suis mis à compte, j'ai successivement harcelé les clients pour avoir du boulot, puis entretenu des relations plus naturelles avec offres et demandes réciproques et aujourd'hui, je suis dans cet état béni et joyeux où des gens viennent me demander de bosser par recommandation ou ouïe dire. Problème (de riche), ces nouveaux venus inopinés surviennent parfois alors que mon emploi du temps est déjà bien rempli.
En début d'année, mea maxima culpa, j'ai accepté quand même ce que l'on me proposait, y compris lorsque mon Gémini Criquet intérieur me susurrait de refuser car lorsqu'on prend du boulot à contre-coeur, cela se retourne contre vous. Ce fut le cas, travail bâclé, travail navré... Surtout, j'étais malheureux d'accepter, car ce faisant je n'avais plus le temps de faire ce que j'aime dans la vie. Mon emploi du temps professionnel s'était muré en prison.
Hier, la très belle association Passeport Avenir m'avait demandé de venir témoigner de mon parcours et donné des conseils à ces jeunes méritants et détonants. Ayant entendu deux autres intervenants leur seriner l'importance de ne pas compter ses heures, de se donner à fond et de se défoncer, je me suis senti comme un devoir de prendre le contre pied et de faire un éloge de l'aération mentale, au risque assumé de passer pour un branleur. Comme la maison du même mot, j'aime plutôt à me penser en Dilettante comme la maison d'édition du même nom qui rappelle la définition du Larousse : "Personne qui s'adonne à une occupation, à un art en amateur, pour son seul plaisir. Personne qui ne se fie qu'aux impulsions de ses goûts". Dès que je fais une mission sans goût, je me gâte ou me fane. Au-delà de mon petit cas personnel, j'ai la conviction que ceux qui ne s'aèrent pas et qui s'enfoncent dans le boulot ne seront jamais bons. On pourra me citer des contre exemples de bourreau de travail réussissant admirablement. Soit. Mais on ne m'enlèvera pas de l'idée que la chose n'est pas viable, sur le long terme. On peut toujours se défoncer sur quelques semaines, quelques mois, mais dès lors que l'on est plus concentré jour et nuit que sur son travail, on s'assèche.
On rabâche, répète inlassablement les mêmes bons mots, les mêmes références, avance avec les mêmes certitudes... Dans un monde qui évolue tellement vite, cela ressemble à une aberration absolue de ne pas ouvrir les fenêtres plus souvent pour voir pousser les nouveaux arbres. Laurent Fabius demandait à sa secrétaire, au temps où il était à Matignon, de lui inscrire des rendez vous fictifs dans son emploi du temps tous les jeudis matins. Alors, il recevait des invités ou allait à des expositions ou au cinéma, mais il prenait le temps de couper avec l'enfer de Matignon pour reprendre le titre d'un livre. J'aime ce genre d'anecdotes, apprendre les chefs d'entreprises qui prennent deux heures pour aller visiter les supermarchés des pays où ils débarquent car cela leur en dit plus long sur le pays que les réceptions de l'ambassadeur. Je comprends cela, quand je vois arriver la charge de boulot, la vague de l'urgence, j'en profite pour aller flâner ou prendre un bain avec un bon bouquin. En rentrant de promenade ou en sortant de l'eau, ma productivité en est toujours décuplée.
Selon les standards de la France de 2012, où il est bon de se défoncer 65 heures par semaine, je pourrai à l'évidence animer plus, rédiger plus de rapports annuels ou encore donner plus de cours. Je réponds à chaque interlocuteur qu'on m'en commande trop par ailleurs. Le jour où je cesse de lire, de sortir et de regarder les passants, pour avoir le temps de finir un dossier en plus, secouez moi avant que je me boucane...
(Post écrit alors que je dois rendre un truc charrette demain...)
17:21 | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
Que j'aime ce genre de déclaration!!!Je suis toujours étonnée à la radio, en politique, à la Tv ou ailleurs de voir que les mêmes sont partout et font tout. Je me demande toujours comment ils font ces surhommes pour prendre du recul, renouveller leur pensée, penser différemment etc...et bien à les écouter, on s'aperçoit qu'ils ne sont pas aérés et qu'ils nous resservent du réchauffé...Que de journalistes, de chroniqueurs de France culture, télérama, Le Monde et autres auraient besoin de pages blanches et moi en tant qu'auditrice et lectriceje m'en offre...Bravo au travailleur Castor de revendiquer cette vacance salutaire loin de ses habitudes...c'est aussi une belle façon d'échapper à l'emprise et de résister..cf le dernier livre de Pascal Quignard Les désarçonnés sur le sujet!!!!
Écrit par : marcelline roux | 01/10/2012
Merci Marcelline, nous sommes raccords, bien peu prennent le souci de déconnecter et c'est fort dommageable, n'étant pas concerné j'irais zieuter le Quignard !
Écrit par : Castor Junior | 01/10/2012
"Non, désolé, je crains de ne pas pouvoir. Je n'aurai pas le temps, trop de travail"
Écrit par : sante homme | 02/09/2014
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