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29/10/2012

Cette phobie du risque finira mal...

ciel-inquietant-257863.jpgIl est parfois malaisé de parler des romans qui vous ont le plus marqué. Pourquoi celui plutôt qu'un autre, on s'abrite toujours derrière les classiques et tranche difficilement parmi ses contemporains. Je ne dirais pas la même chose côté essai.

Classiques mis à part, je peux dire quels sont les 3 qui m'ont le plus marqué ces cinq dernières années, même si l'un des trois a droit à une dérogation pour consacrer son oeuvre entière plutôt qu'un livre en particulier. Bien que je lise beaucoup d'économie, ou de sociologie à vocation économique et sociale, je n'en distinguerais aucun dans cette catégorie; pas même Sen dont la théorie des capabilités m'a pourtant servi d'appui pour écrire des livres. Ces livres restent pour la plupart d'excellents, d'emballants commentaires de photos de la France, ou du Monde. Ceux qui amènent de vrais concepts vous marque autrement : je dirais Accélération d'Hartmund Rosa pour sa réflexion majeure sur le temps, toute l'oeuvre de Zygmunt Bauman sur la modernité liquide et la perte de nos repères séculaires et la société du risque d'Ulrich Beck. Né en 44, ce génie allemand a écrit cet opus magna en 86 au moment de Tchernobyl.

Il y explique pourquoi notre phobie du risque finira mal. Paradoxe apparent dans le contexte tchernobylien et pourtant... Beck prend les exemples de scandales sanitaires majeurs comme la vache folle et autres pandémies liés à l'homme. Il en remet une louche sur les catastrophes écologiques. A chaque fois, sa conclusion est lapidaire : l'homme moderne s'enferre dans une logique de zéro risque. Ce mythe libéral absolu : 0 contact, 0 catastrophe, 0 rapports humains... Beck nous montre comment le champ de la raison, du dialogue, a été détourné pour entrer dans le champ du seul calcul. Abjecte réflexion, mais immense livre. 

Dans l'actualité brûlante, deux événements récents sont venus s'ajouter à la liste déjà longue d'anecdotes glaçantes que je collecte à ce propos. D'abord le procès des scientifiques italiens en marge du drame de l'Aquila. Le tremblement de terre que nous avions tant médiatisé en France à cause du voyage de soutien de Carla Bruni. Les sismologues qui n'ont pas prévu la catastrophe -et pour cause ce genre d'événement étant par essence imprévisible- ont été condamnés à de la prison ferme. Heureux hommes du XXIème siècle ! Les scientifiques qui s'aventuraient hors des sentiers battus quelques siècles auparavant, de Giordano Bruno à Galilée finissaient en barbecue. Je me permets le parallèle pour souligner à quel point la décision du tribunal italien est inique... Et inquiétante : on veut donc une science qui ne se trompe jamais? Plutôt que de déplorer les constructions abondantes en zone sismiques, le bétonnage de zones inondables qui finissent inondées, combattons les scientifiques ? Angoissant... La même logique prévaut pour l'incident de Fukushima : là où la raison voudrait que l'on s'interroge sur l'opportunité de construire une centrale nucléaire sur une zone à la forte sismicité avérée et en bord de mer, on préfère se demander si TEPCO a bien blindé tous les risques... L'idiotie en route. En démocratie, le marqueur dictatorial, c'est la norme. Aussi, pour refermer ces débats pourtant cruciaux, on rajoute de nouvelles normes pour montrer la prise de conscience. Ainsi, Paris est sorti du risque zéro sismique pour passer à 1. Et ainsi, en ayant rassuré les assureurs, on claque la porte. Déplorable...

L'autre événement, évidemment, c'est cette femme qui a perdu son enfant en se rendant à une maternité trop éloignée. Ha la belle affaire ! Ha la lutte contre les déserts médicaux, ha le besoin de gauche ! Et pour une fois Marisol Touraine et François Hollande (et comment ! ça se passe en Corrèze) prennent des accents de lutte de classe et de Gambetta réunis : il faut refaire des égaux territoriaux. Bon, cela confine à l'évidence et après ? Derrière l'émotion suscitée par ce fait divers. Car c'est un fait divers... La femme victime précise bien que c'est ELLE qui a voulu aller accoucher à Brive. Elle refuse que l'on instrumentalise son cas et comprend très bien que, tout dramatique qu'elle soit, son histoire est un accident, et les accidents arrivent, sinon on vit dans Bienvenue à Gattaca... Je ne dis pas qu'il fallait se résigner aux normes du XVIIIè ou XIXème en termes de mortalité infantile, lorsque cela n'émouvait personne qu'une femme perde un ou deux de ses enfants en couche. Mais il faut bien admettre que le risque zéro n'existe pas et que l'on doit parfois remercier les progrès de l'hygiène, de la science et de la prévention plutôt que de chercher à traquer avec rage ce qui n'a pas marché...

Tout cela finira mal : les obèses qui attaquent Mc Do, les cancéreux du poumon qui attaquent Marlboro et les mal plâtrés qui attaquent les hôpitaux... En génétique, on voit ce que l'on cela peut donner d'abject. Cette phobie du risque n'est guère démocratique et même dans des démocraties de régime, peut vite nous faire basculer dans une dérive totalitaire. Et casser cette logique dominante demandera un courage politique inédit.

Demain, on reprendra des lectures plus joyeuses, comme le dernier livre de Martin Hirsch sur les raisons de son engagement...

 

27/10/2012

Italie, lie de la classe politique...

220px-Merlot_wine_lees_after_fermentation.JPGSi je n'étais pas né français, j'aurais aimé être italien. Pour sa langue, son climat, sa culture, ses paysages. Pour son peuple, évidemment, aussi avec qui j'ai noué tant de relations depuis bientôt 30 ans. Pour tout cela, l'Italie résonne chaleureusement dans mon coeur. Quand je n'ai pas la chance de m'y rendre, l'Italie vient à moi. Les personnes les plus chaleureuses, drôles et spirituelles que j'ai rencontré au Vietnam étaient un couple d'italiens...

Je me disais en début 2012, que si notre Hollande national réalisait la mission impossible de perdre contre Sarkozy, je pourrais m'expatrier en Italie. L'amoureuse partage ma passion pour la Botte, c'était un bon début. Certes, il ne sont pas épargnés, loin s'en faut, par la crise, et le sort des enseignants du supérieur chez les transalpins est pire que chez nous. Mais quand même, la dolce vita...

Et puis cette semaine, la lecture des journaux nous ramène à une triste réalité. Berlusconi condamné pour fraude fiscale, là : http://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/silvio-berl... . On pourrait être optimiste et voir cela comme un progrès, après tout nous n'avons même pas condamné Chirac a posteriori quand eux savent empêcher Berlusconi de se représenter. Sauf que sauf que, la chose vient après qu'il a été trois fois au pouvoir, s'en est servi pour voter des lois d'amnistie le protégeant. Sauf que l'Italie est le seul pays démocratique où les marchés ont imposé l'actuel chef du gouvernement. Pire, Monti, cet ancien de Goldman Sachs, est sans doute le moins pire qui puisse arriver à nos amis transalpins. A ce sujet, on peut écouter les 15 premières minutes de cette interview vidéo de Rafaele Simone, le génial auteur du "Monstre doux" où il expliquait comment l'idéologie libérale dominait l'Europe et pourquoi il fallait réveiller la libido du projet de gauche. http://www.franceculture.fr/emission-les-matins-nouvelles....

C'est proprement désespérant. Berlusconi ne doit son ultime disgrâce qu'à ses déboires judiciaires, mais sans cela, ni sa vulgarité, ni l'ineptie de sa politique ne le mettent réellement hors-jeu d'un point de vue électoral. A gauche, plus de Prodi, exit Veltroni, si jamais ils l'emportent, ce sera par défaut et sans champion. Pendant ce temps, le mouvement "5 stelle" (5 étoiles) de Beppe Grillo engrange les sondages de plus en plus stratosphériques. Beppe Grillo est un humoriste agitateur qui a vu son audience croître sur Internet et les réseaux sociaux. Comme souvent dans ces cas là, l'acte fondateur du mouvement est d'une pureté cristalline : lutter contre la corruption. Hélas, passé la bonne intention, ce mouvement ne se révèle pas blanc blanc comme le soulignait un excellent article du Monde Diplomatique du mois dernier. L'étude soulignait les dérives populistes d'un racisme virulent du mouvement. Il surfe comme souvent sur ces étrangers qui viennent manger les pâtes des vrais italiens, en remet une couche sur la virilité avec le péril d'une homosexualisation de la société... Cette virilité mal placée transpire de l'idéologie des suiveurs de Grillo qui, pire encore, méprise l'écologie, sans doute au motif que c'est une conception féminine de l'existence. Derrière Grillo, qui ne se présentera même pas en raison d'un passé judiciaire (un accident de voiture où il a fauché un passant mort après coup. Même s'il fut mis hors de cause, ça fait trop lourd pour briguer un mandat) une ribambelle d'amateurs invectivant les bronzés, les efféminés et autres rêveurs verts. Ca fait rêver, hein ? Problème, à la faveur des élections municipales, ce conglomérat de pieds nickelés pourraient emporter quelques villes, notamment Bologne où ils font des scores hallucinants. 

Après coup, on a beau moquer le Tea Party depuis chez nous, la déferlante de mouvement néo cons est à notre porte. Et ça, mama mia, c'est tout bonnement déprimant. Plutôt que de verser la lie dans le verre du pouvoir, il faut jeter la bouteille et en ouvrir une nouvelle, même un peu jeune, mais plus porteuse d'espoir... Comme disait Salina, il faudrait que tout change pour que rien ne change.

25/10/2012

L'angoisse du grand patron au moment de parler fragilité

images.jpegHier, j'ai eu la joie d'animer un déjeuner de levée de fonds pour une très belle association, le Clubhouse France ( http://www.clubhousefrance.org ). Visitez le site, renseignez-vous, mais il s'agit d'une initiative privée (ils ne reçoivent pour l'heure que 3% de financements publics, de la part de la mairie de Paris) magnifique qui permet aux membres de ce club, tous atteints de maladies mentales - principalement la schizophrénie et autres troubles bipolaires - de retrouver une estime de soi suffisante pour se réinsérer. La démarche est fondée sur une grande autonomie des membres qui gèrent eux même le Club (sis 80 quai de Jemmapes) au quotidien.

Bien qu'ayant fait cela gratuitement, je suis reparti infiniment plus riche que je ne suis venu. Riche de rencontres, d'écoute émerveillée de membres du club qui ont eu le courage de parler les 80 convives, tous capitaines d'industries, entrepreneurs ou simplement grande fortune. Il en fallait du cran pour venir s'exprimer ainsi sur ses fragilités, sans misérabilisme ou commisération ; simplement en exigeant une écoute attentive. Elle le fut, sans exception.

Ce fut sans doute ma plus grande surprise. Depuis le début de ma vie professionnelle - il y a une petite dizaine d'années - je me suis retrouvé si souvent en compagnie de chefs d'entreprises que leurs discours me surprennent rarement. Comme pour les politiques, les EDL (éléments de langage) ont envahi le champ de la prise de parole en public. Un certain nombre de codes, mots valises et autres balises vous permettent rapidement de savoir si celui qui parle dirige une grande dame publique, une start-up ayant bien grossi, une industrie ambitieuse (il y en a) ou un moloch des services. Sur tous les nouveaux sujets de responsabilité de l'entreprise, les managers ont du se former et apprendre à plaider car tous (loin s'en faut) ne portent pas en eux de convictions fortes sur le besoin d'ajourner la place de l'entreprise dans la cité. Aujourd'hui, heureusement, on continue de distinguer aisément les tenants d'un vrai changement sociétal et ceux qui tentent maladroitement de surfer sur l'ère du temps indignée devant les injustices. Mais jamais de mutisme: développement durable même quand ils polluent abondamment, diversité même quand ils sont confits dans leurs clichés ou parité quand ils sont machistes, les néo dirigeants savent parler de tout. Culture sciences-po dite sciences-pipeau, nos nouveaux fantassins de l'aventure entreupreunariale peuvent donner un avis sur tout.

Hier, point. D'un coup d'oeil aiguisé vous pouvez facilement distinguer les poseurs qui feignent l'émotion de ceux qui sont réellement chamboulé. Hier donc, un membre du Club est venu raconter son histoire qui aurait pu être la leur. Un jeune homme brillant, successful, un winner avec PHD et MBA en poche très haut placé dans une belle entreprise. Du jour au lendemain, il se met à faire des achats compulsifs. Pas des babioles, mais plutôt un Matisse ou une Aston Martin. Il était en phase maniaque avant de sombrer dans une phase profondément dépressive. Et là, hier, il a accepté de venir en témoigner. Nous avons échangé quelques mots avant le déjeuner pour être sûr qu'il accepte et que tout allait bien. Il m'a souri et a hoché la tête en signe d'approbation. Au moment venu, il s'est levé sans rechigner, s'est installé au pupitre et a fait l'effort insensé de lever les yeux de sa feuille pour regarder l'assistance en témoignant de souvenirs difficiles. A ce moment, j'ai vu des dirigeants émus comme jamais. "Ce pourrait être nous" se propageait de table en table. Quelques uns, trop obnubilés par leurs histoires de marges brutes sont repartis comme ils étaient venus, mais l'immense majorité et les plus célèbres d'entre eux, avaient été touché au coeur. Au moment de repartir vers leurs bureaux, ils emportaient des fragments de cette fragilité qui terrifie tant l'entreprise. Leurs certitudes ont été ébranlées, avec un peu de chance, leurs pratiques changeront.

En sortant je pris le bus et tombait sur un des convives amateurs de transports en commun. Tout frais retraité de l'univers bancaire, il souhaitait mettre sa débordante énergie au service d'association. J'ai aimé son discours : "vous comprenez, le collectif doit se mobiliser. Historiquement, il y eut un consensus malsain entre patronat et syndicats sur la question de la souffrance psychique. Quand un type était atteint, les patrons n'en voulaient plus et les syndicats exigeaient qu'un malade ne travaille plus de sa vie. Peut être la crise économique va accélérer la prise de conscience au motif qu'on ne peut laisser loin de l'emploi un nombre immense (1 à 2% de la population) de travailleurs pendant 20 ou 30 ans. La question du prix va peut être les amener vers une évidence : le travail ramène la dignité et fait partie de la thérapie". Ces sages paroles délivrées, le fringuant sexagénaire est descendu d'un pas sautillant. Je suis resté seul dans mon bus, interdit devant mon livre, les témoignages du déjeuner défilant en boucle dans ma tête.