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07/10/2012

Savoir-perdre

9782081222809.jpgCertains romans nous intimident par l'attention de tous les instants qu'ils exigent de notre concentration. A peine saute t'on une demie-ligne, croyant éviter une description de bouton de porte, que l'amant de la belle-soeur a été trucidé. D'autres ont un style si touffus, une atmosphère si particulière, qu'il faut toujours une bonne demie heure de plongée de lecture pour s'y ressentir bien, comme avec de l'eau trop fraîche.

Heureusement, Savoir-perdre de David Trueba est aux antipodes de cela. Grâce à cette instantanéité d'adaptation, j'ai pu, dans une semaine très bousculée, trouver suffisamment d'interstices de transports et autres attentes de rendez-vous pour avaler les 700 pages de ce prenant roman. Le rythme, tout est question de rythme, dans cette fresque en 4 tableaux qui s'entrecroisent : Sylvia, adolescente en émoi sensuel, Leandro vieil homme qui se perd chez les prostituées quand sa femme se meurt lentement, Lorenzo qui vit dans l'angoisse d'être découvert en tant qu'assassin et Ariel, jeune star du football argentin de 20 ans transféré au Real de Madrid.

Ces personnages se croisent, s'évitent, se retrouvent. Chaque univers est campé avec, au minimum efficacité (les bordels madrilènes dont j'admets ne pouvoir attester de l'exactitude des descriptions) au mieux maestria : j'ignore si David Trueba est journaliste sportif, mais les scènes avec les joueurs du Real sont bluffantes. Loin des caricatures, mais au plus près des excès de ce microcosme, il nous prend par la main et nous emmène dans cette galaxie folle faite de soirées éthyliques, de blagues potaches, de journalistes fouineurs et de galaxie de parasites (agents, famille désoeuvrée, directeur sportif...). Outre le réalisme, le roman nous emballe par son rythme et enfin et surtout par la complexité des personnages. Le vieil homme se ruinant aux putes quand sa femme se meurt n'est pas une ordure, mais une épave à la dérive. La jeune fille et le footballeur vivent une romance plus simple et vraie que nature et l'homme au meurtre non élucidée vit une expérience de rédemption poignante. Aussi, l'envie de continuer à avaler ces quatre destins nous emmène sans détour vers la fin de ce livre sans se retourner. En le refermant, on se dit qu'il fait partie de ces livres qu'on veut laisser en évidence dans sa bibliothèque, de sorte qu'un invité à dîner le renifle pendant que mijote le pot au feu (ce que m'évoque la baisse des températures) et nous demande à l'emprunter. Nous saurons le perdre (les livres prêtés reviennent rarement) avec joie. 

05/10/2012

Le bonheur, c'est simple comme un bout de shit

118-1891_IMG-01.jpgNous partîmes à deux, mais par un prompt renfort, nous fûmes 8 pour rentrer à bon port parisien par le tram de minuit. Le volume sonore sur le quai de la gare de Puteaux indiquait que nous étions des citoyens responsables et que personne n'avait eu la mauvaise idée de narguer la maréchaussée avec un taux d'alcoolémie non admis par les éthylotests. 

Dans le wagon désert, nous huit donc et deux jeunes. Vraiment jeunes.

Peu de choses nous séparaient les uns des autres, mêmes jeans et baskets et téléphones prétendument intelligents. Seul l'entémologue attentif notait la différence entre nous à l'aune des signes extérieurs de jeunesse : ils étaient toutes capuches et acné dehors. Leurs yeux plus rougis que les nôtres, leurs gestes plus gourds, la voix plus éraillée et libérée. Surtout, alors que nos réflexes de trentenaires raisonnables nous avaient poussé vers le dernier tram pour regagner nos pénates et nous lever tôt le lendemain. Eux, fondaient vers la Grande Arche avec avidité, la nuit leur appartenait et nous ne leur disputions pas. 

Soudain, ils firent une connerie de leur état plus que de leur âge : passer la tête par la fenêtre. Nous haussions un peu la voix pour les en dissuader, sans trop y croire sachant l'absence de risque vues les gares desservies, mais pour l'exemple quoi. Ils nous répondirent, narquois "mais y a rien à craindre, tu veux qu'il arrive quoi ?". Mais soudain, de derrière nous, survint un homme bien plus inquiété par les facéties des deux godelureaux que nous. Il avançait dans la rame avec la démarche chaloupée de celui qui a éclusé une baignoire de demis à l'apéro. Les ravages d'une consommation peu modérée rendaient difficile de se prononcer sur son état civil, mais sans doute une cinquantaine d'années. Il alpagua à son tour les jeunes avec la même absence de résultats que nous. Il nous regardait, désemparé, et nous ne lui donnions aucune empathie en retour; ingrats que nous fûmes. Alors, il sortit de sa poche de jean une superbe boulette de shit. Pas du shit de Barbès ou de la rue Pia de Belleville, du truc trafiqué à mort. Cette splendide bille brune venait sans doute d'une malette diplomatique ou d'une production artisanale. "Hé les jeunes, si vous arrêtez vos conneries, je partage mon shit" les yeux rougis d'un des deux jeunes sortirent de leurs orbites. Il alarma son compagnon de bamboche et, tels deux rats séduits par le joueur de flûte de Hamelin, ils suivirent, fascinés, le nyctalope fumeux.

Arrivés à la Défense, l'évidence nous frappa au coin de l'anecdote : le malaise des jeunes, l'absence du lien social, l'intergénérationnel, tout cela peut se résoudre d'un bout de shit. On vit, définitivement, une époque formidable.