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14/05/2013

De la visibilité

1700161_6_6310_de-la-visibilite-de-nathalie-heinich_84f3b2917a2956b3e5d908273db9a310.jpgAu sortir de cet ample livre (près de 600 pages), on pourrait se dire - à tort- que c'est juste un excellent livre. Mais que, quand même, après les magistrales 100 premières pages, l'éblouissement n'est plus présent à tous les chapitres. Que, passée l'introduction lumineuse et quelques développements ébouriffants, l'auteure se perd dans un luxe de détails, d'anecdotes et ne nous distille plus de nouveaux concepts. On pourrait. Et on aurait tort. Décanté, digéré, le livre ne vous quitte pas et vous vous dites que vous avez sans doute lu ce qu'il y a de plus juste sur l'impalbable omniprésent : la visibilité. Ca touche à des détails, la modestie de l'auteur, le ton, le foisonnement des anecdotes, la justesse de l'analyse, l'élégance du style (rare, chez les sociologues).

L'auteur développe donc ce qui nous entoure, ce que nous devinons, ce que nous intuitons sans savoir le formaliser : ce qui rend visible, comment on devient célèbre, pourquoi et pourquoi cela vaut cher ? La partie sur l'économie de la visibilité est la plus fouillée, la plus riche sans jeux de mots et celle qui prête le plus à réfléchir.

L'auteur revient dans son histoire jusqu'à Alexandre le Grand, le seul qui était massivement connu de gens qui ne le connaissait pas personnellement. Puis explique que jusqu'à l'invention de la photographie, les 3 types de personnes qui sont reproduites en tableaux (hors commandes de nobles) sont les saints, les héros et les génies. Aujourd'hui, ce serait les grandes figures caritatives, les sportifs et les chercheurs (ou entrepreneurs) mais le trio de fonctions stimulées persiste. La différence avec cette visibilité est donc qu'elle a commencé à être monétisée dans des proportions fortes et surtout de façon décorélée du talent. Autant Star Academy reconnaît une forme de talent (avec accélération de la reconnaissance de rapidité) autant Loft Story ou les It Girls comme Paris Hilton reçoivent de l'argent du simple fait qu'ils sont visibles. Les développements sont bien plus longs et savoureux. 

On sent que l'auteure a eu de nombreux échanges avec l'économiste André Orléan (l'auteur de "l'Empire de la valeur"), le livre ne porte pas de jugement moral. Cela en choquera certains, mais la critique et la déconstruction des effets de valeurs haussières et baissières n'en est que plus juste. Elle n'adule pas les stars, ne les envies pas, ne les méprise pas non plus. A la fin du livre, un coup de pied de l'âne inédit intervient : elle rappelle une étude jamais citée que les "personnalités exposées, les stars" effectuée sur un grand nombre de cas. Par rapport à la moyenne, les stars ont une espérance de vie de 13 ans inférieure à la moyenne, elles se suicident 3 fois plus et sont deux fois plus alcooliques. La traduction savante du célèbre "pour vivre heureux, vivons cachés". Madame Nathalie Heinich, vous n'êtes pas connue, je ne vous connais pas, mais après vous avoir lu, je vous dis merci.

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