10/07/2013
Demain, les fonctionnaires à droite ?
Ce serait tout de même un sacré coup porté à nos mythologies nationales. De celles qui nous rassurent. Les petits commerçant et les bigots à droite, les fonctionnaires et les laïcards à gauche.
Ces chromos ont envahi les discussions de comptoir, émaillé les files d'attentes dans les supermarchés ou les bouchons de l'A6 ; un peu partout on entend la France impatiente pester "putain de fonctionnaires, mais avance/bouge ton cul/ bosse pour une fois ça te fera les pieds"... A contrario, si l'on tend l'oreille, on devine au milieu d'une foule de surhommes, de forçats et de cadres sups, ces mots fins "moi je bosse moi, je me défonce, je suis pas fonctionnaire". Bref, cette masse informe des "fonctionnaires" qui rassemblent en réalité la fonction publique d'Etat, la territoriale, et l'hospitalière, avec des personnels forts différents allant des profs aux policiers en passant par les agents des impôts. Peu importe pour le grand public qui les englobe dans un même amas avec les agents SNCF, RATP et ceux de la Poste (qui ne sont pas fonctionnaires, mais ne nous fâchons pas pour si peu). Il y a encore à peine 20 ans, ce Moloch avait vainement tenté de faire élire Jospin puisque près de 70% d'entre eux votaient à gauche. Et si Hollande a été élu l'an passé, il ne le doit que partiellement à ces bataillons qui ont massivement fui les socialistes...
69% en 1995, 61% en 2002 et 2007 et seulement 54% en 2007. Quand on pense à la masse concernée (plusieurs millions de personnes) une érosion aussi forte n'a pas d'équivalent dans le reste de l'électorat français. Quand on songe à la stabilité séculaire des grands équilibres électoraux, on se demande comment une telle diminution a pu intervenir en moins de vingt ans. A contrario, il faut imaginer quelles sont les franges de l'électorat où Hollande est allé puiser un spectaculaire redressement pour compenser la baisse chez les profs surtout (entre 1995 et 2007, où Royal a touché le fond, la boucherie de Chatel et les promesses d'Hollande lui a permis de regagner quelques points auprès d'eux). Peut être pas les fiscalistes, mais sans doute un grand nombre d'employés du privé. Des employés, et pas des ouvriers qui majoritairement, désormais, s'abstiennent de voter, ou accordent leurs faveurs à Marine le Pen ou Mélenchon avant d'aller vers les socialistes...
Reste cette chute de 15 points. M'est avis que l'on peut trouver la réponse dans "Le nouvel esprit du capitalisme" de Boltanski et Chiapello. La logique libérale et la montée de l'individualisme partout en Europe a imprégné l'ensemble du tissu social. Aussi, aujourd'hui le clivage n'est plus public/privé, mais dans une lutte des places. Le sentiment individuel est monté très fortement chez les fonctionnaires qui veulent cette reconnaissance individuelle avec les marques matérielles afférentes (primes, promotion, mérite) ; toutes notions qui existaient peu il y a 30 ans où tout était régi par une supérieure (et Tartuffe) "méritocratie". A contrario, la peur de la perte d'avantages acquis (35h, mutuelles, tickets resto) et plus globalement peur de la perte de leur emploi a fortement monté dans le privé, qui se sont électoralement déportés à gauche pour obtenir une protection.
In fine c'est le triomphe absolu de l'idéologie libérale qui a instillé dans tous les cerveaux cette idée nauséabonde : avoir un emploi relève désormais du privilège et il faut souquer pour le conserver...
09:34 | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
vous ne croyez pas hélas si bien dire mon cher castor...Il n'y a qu'à voir comment les restructurations à l'intérieur de la fonction publique ne provoquent plus de mouvements collectifs pour défendre le service public mais des réactions individuelles où chacun tente de préserver sa carrière au mieux, son statut, son poste au pire...Le tout est présenté par des cabinets privés qui à coups d'audits, d'évaluations et j'en passe,n'ont même jamais entendu parler de service public, mais qui encaissent des pépettes pour répondre aux objectifs dégraissement et d'efficacité...Ce qui peut expliquer que les fonctionnaires mangés à cette sauce-là, ne savent vraiment plus où est la politique de gauche....
Écrit par : marcelline roux | 17/07/2013
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