11/08/2013
Le grand livre de l'ignorance
C’est un livre abrasif qu’on ne peut s’empêcher de conserver malgré la brûlure (pour le cerveau, pas les doigts). Un livre répulsif car le dégoût du genre humain vous prend si vous cogitez de trop et en même temps un grand livre. Une enquête façon De sang froid. Dieu sait que j’ai aimé l’opus magna de Truman Capote, mais Tout, tout de suite de Morgan Sportès m’a bluffé du début à la fin et s’inscrit sans doute aucun dans la même lignée. Evacuons d’emblée la verdict : Capote est un immense styliste et un écrivain incomparable. Sportès est un besogneux, au style mafflu et chargé, maladroit, mais peu importe il a réussi un grand livre à partirr de faits réels. Une prouesse d’autant plus grande que le fait divers dont parle Capote n’avait pas défrayé la chronique outre-mesure aux US et qu’il bénéficiait donc d’une certaine latitude pour explorer son sujet. Rien de cela pour Sportès qui s’est attaqué à un sujet battu et rebattu.
De quoi s’agit-il ? Du gang des Barbares. Mais encore ? De ces garçons et filles qui se sont mis à 25 pour séquestrer, torturer et enfin tuer un juif dont ils n’ont jamais pu obtenir la rançon. L’affaire fut très très largement couverte par la presse, avec des tas d’éditorialistes persuadés de voir là les racines de la décadence de la République, la montée de l’Islam radical et le renouveau de la peur pour les juifs. Peut -être, sûrement y a-t-il de cela dans cette histoire, mais comme on trouve de l’écume dans l’océan. En refermant le livre de Sportès, on a plutôt l’impression d’avoir lu le grand livre de l’ignorance. Roman, non-fiction, peu importe le genre et la forme. Les faits sont là, le rendu plus vrai que nature et le regard porté sur les événements plus acéré que celui d’un faucon.
Le livre a ceci de génial qu’il ne psychologise pas. Il ne prend pas fait et cause pour la victime, ne cherche pas d’excuse aux criminels dans leur passé. Il décrit une réalité crue où l’intelligence et l’éducation sont parties en congés infinis. Il n’y a rien dans la vie des Barbares : pas de repères, pas de connaissances d’aucune sorte, pas de projet de vie, si ce n’est de pouvoir se procurer « tout, tout de suite », mais sans que cette injonction consumériste soit associée à une quelconque envie. Or, consommation sans conscience n’est que ruine de la civilisation. Et je dois dire qu’en refermant le livre, j’avais une envie de pleurer étant par ailleurs assez peu du genre lacrymal. Pas seulement sur le destin d’Ilan. Ce garçon a une histoire atroce. L’histoire de sa mort ignoble atteint une dimension d’autant plus tragique qu’en lisant Sportès, on comprend qu’il aurait pu être sauvé. Mais plus que ce garçon, ce qui aurait pu me faire pleurer, ces toutes ces vies vides qui se sont greffées autour de Youssouf Fofana. Lui est une ordure en plus d’être fou comme un lapin. Mais autour de lui ce sont une armée de désoeuvrés, de pauvres hères, de destins sacrifiés avant que de commencer.
On les dit mû par les seules pulsions consuméristes, mais, en matière de consommation, ils ne partagent même pas les rêves démesurés des rappeurs US. Lors du partage du butin putatif lié à l’enlèvement, chacun dit ce qu’il ferait : se payer un scooter, rembourser ses amendes à la RATP, voire partir une semaine en vacances au ski avec sa copine. Ecoeurés par leurs existences pleine de manques, ils aspirent à une forme de normalité et maintiennent tous que « ça n’est pas en taffant qu’en gagnant du pognon ». Si on ne peut les déciller sur cette affirmation au sens où il est délicat de gagner quelques millions d’euros en étant salariés, ils pourraient en revanche se payer une semaine au ski. Mais c’est au-delà de leur compréhension immédiate.
Le rapport de ces jeunes à la religion est également fort intéressant. La presse française avait analysé l’affaire de façon assez binaire en exacerbant (l’indéniable) le caractère antisémite du dossier. Ce qu’il y a de marquant, vraiment, c’est de voir le nombre de jeunes convertis à l’Islam dans le lot de malfrats. Mais ils emploient des mots creux, associés à d’introuvables « valeurs », et surtout continuent tous de vouloir gagner indûment de l’argent et considèrent tous les femmes comme des sous êtres, ni l’un ni l’autre (encore que) n’étant écrits dans le Coran… Ils ne vont jamais à la mosquée, ne cherche aucune forme de pureté ou d’élévation spirituelle. Ils vivent cette religion par mimétisme ou par mêmeté, parce que les personnes qu’ils respectent dans le quartier se disent musulmans.
Au final, on est happé par ce récit mortifère, où l’espoir ne rentre jamais. Ni de rédemption, ni de changement. Le plus désespérant, c’est que ce gang qui a commis cette atrocité n’est même pas composé de gangsters, de durs. La scène qui m’a le plus marqué est celle où Fofana vient racketter une jeune fille apeurée qui s’est réfugiée chez sa mère. Cette dernière, matronne autoritaire, congédie le supposé caïd en quelques minutes, d’une voix ferme. Toute la spirale du crime aurait pu s’arrêter ainsi. Avec ça et un peu moins d’ignorance.
Quand j’étais petit, je ne comprenais pas l’intérêt de la lecture sous toutes ces formes, de l’apprentissage au sens large. Ma mère me répétait alors, « imagine ton cerveau comme une grande maison avec plein de fenêtres. Toutes fermées. Lire sert à ouvrir les fenêtres ». Dans les têtes des Barbares il y avait aussi de vastes manoirs, mais toutes les fenêtres étaient fermées.
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