21/10/2013
A la sueur de leur frontière
On a beaucoup glosé sur le discours de Toulouse de Nicolas Sarkozy lors de la campagne 2012, où il faisait après Régis Debray (qu'avait lu pour lui Henri Guaino). Des références au livre du médiologue, Eloge des frontières. De façon relativement étonnante, le débat n'est pas tant repris depuis. Du moins au plus haut sommet de l'Etat et de l'opposition. Une espèce de conformisme émollient s'abat sur la question depuis lors. N'en débattons plus, nous sommes 27 et même 28 depuis l'élection de 2012. Des frontières apparaissent partout, le nombre d'Etat-Nations a explosé depuis 1989 et la fin de la guerre froide et aujourd'hui encore les aspirations indépendistes sont fortes.
L'Europe n'est pas épargnée, avec les catalans, les écossais, d'autres dans l'ex yougoslavie, l'Italie du nord, la Corse chez nous et tant d'autres. De nombreuses voix se font entendre pour le repli sur soi comme voie de secours et on feint d'y voir uniquement une dérive extrêmiste sans voir la détresse sociale qu'il y a derrière. Et on ne parle toujours pas de frontières. J'exagère, on reparle de frontières à l'occasion de Frontex ou du drame de Lampedusa, pour dire qu'il faut continuer à ériger de nouvelles ligne Maginot pour empêcher les pauvres hères de venir chercher une vie meilleure en Europe. N'importe quel démographe s'étrangle pourtant devant la faiblesse des flux migratoires par rapport aux besoins d'un continent vieillissants. Les espagnols et les italiens, aux taux de chômage supérieurs aux nôtres, accueillent le double d'immigrés par rapport à la France. Donc, ce débat fumeux d'un point de vue rationnel enfume 99% de nos débats : trop d'immigration, on ne peut pas accueillir toute la misère du monde (en occultant la suite "mais nous devons en prendre notre part"), débats d'autants plus vains que sans immigration, l'Europe court à sa perte comme le montrent les courbes démographiques de l'Allemagne ou de la Russie (dans une optique paneuropéenne mais les problématiques se ressemblent).
Si le sujet ne fait pas débat, c'est surtout que les ploutocrates sont frontièrophobes. Les frontières ce sont plus de normes, de lois, de règles, tout ce dont ils ne veulent pas. L'instrument central de leur dégoût est évidemment l'impôt : fuir les frontières, c'est fuir les terres où l'impôt est jugé trop important pour atterrir en douceur là où les taux sont plus cléments. Or les ploutocrates appuient partout, de Paris à Bruxelles en passant par Londres (pas logique, mais les ploutocrates s'en foutent du bilan carbone) pour cet abandon de cette logique passéiste qu'est la frontière. A ce sujet, personne n'a mieux décrit le cynisme ambiant que Zygmunt Bauman a travers son oeuvre magistrale, la modernité liquide. La modernité liquide, c'est celle qui profite à une poignée grâce à l'abandon : de normes, de valeurs, de frontières et autres. Un retour à la jungle la plus totale qui profitent aux plus forts de lions. Pour les autres, risque d'être mangés ou de ne rien trouver à manger. Il serait tout à l'honneur du politique d'ériger à nouveau des protections pour les moins aguerris des animaux, la frontière protectionniste, au sens économique du terme, doit servir à cela. A part Montebourg, sotto voce, le thème a disparu des écrans radars...
Réinvestir le sujet capital, dans tous les sens, de le frontière, c'est aussi un moyen plus efficace pour faire reculer le front national que de se livrer à de guignolesques palinodies médiatiques sur le dos d'une malheureuse adolescente kossovare où l'exécutif français actuel ne vaut pas mieux, malheureusement que l'ancien... Sorties et contre sorties médiatiques, tout cela réjouirait Guy Debord. L'inoubliable auteur de la société médiatique, mais aussi d'un film et d'un livre avec un immense palindrome latin qui en français donne un bon aperçu de la situation actuel : nous tournons en rond dans le feu et nous nous consumons... (In girum imus nocte et consum (imur igni)
08:56 | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Il y a déjà 120 millions de pauvres dans l'UE des 28, ça fait déjà une bonne part... mais soit, si l'on récupérait le montant de l'évasion fiscale, il y aurait effectivement de quoi améliorer le sort de quelques millions de plus venus d'ailleurs.
Le déficit démographique en Europe et particulièrement dans certains pays : les migrantes de sont pas des ventres sur pattes, or dans ce genre de solution à sens unique, c'est ce dont on a l'impression. Les associations de défense des migrants feraient pas mal de ne pas oublier de leur indiquer l'adresse du planning familial. On sait par ailleurs qu'une natalité correcte s'obtient en favorisant l'accès des femmes au marché du travail en développant les services le leur permettant, des pays comme l'Allemagne ou l'Italie feraient bien de s'en souvenir, et les commissions européennes concernées de le leur rappeler, or sur ce sujet, silence complet.
Quant à la question de l'accueil de l'autre et de toute la problématique qu'elle recouvre, je crois sincèrement que tant que les associations de défense des migrants/droits de l'Homme (de la Femme moins, comme signalé plus haut) ne sortiront pas de leur doxa d'enrichissement culturel etc...et ne reconnaitront pas que ces populations présentent des aspects problématiques quant au fameux "vivre-ensemble", le rejet des populations autochtones à leur égard continuera en laissant de beaux jours au FN en France, et aux partis populistes européens en général .
Non, les migrants ne sont pas tous des enfants de chœur, or on n'a guère de possibilités de toujours savoir exactement d'où ils viennent ni qui ils sont, ce qu'ils ont fait auparavant.
Non, ils ne sont pas tous bardés de diplômes contrairement à ce que ces associations se complaisent à nous dire, loin de là.
Oui, beaucoup d'entre eux proviennent de sociétés parmi les plus archaïques et ont des pratiques féodales, notamment vis à vis des femmes.
Le nier tout en passant son temps à accuser les autochtones, qui vont s'appauvrissant avec la crise économique, de xénophobie/racisme/islamophobie etc... n'améliorera en rien les choses et ne fera que contribuer à une guerre des pauvres.
Écrit par : Floréale | 24/10/2013
Merci pour ce commentaire étayé, Floréale. Je ne suis pas utopiste, je ne nie pas les problèmes potentiels, mais soyons sérieux : entre quelques centaines, voir milliers d'obscurantistes qui défient la République et des millions de personnes désireuses de s'intégrer pleinement, le compte n'y est pas. Par ailleurs, je ne nie pas le chômage et la paupérisation grimpante, mais c'est une question de répartition, non de flux. La France n'a jamais été aussi riche, c'est une réalité têtue et trop souvent ignorée.
Écrit par : Castor | 25/10/2013
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