31/10/2013
Inside joy
Pleurer n'est pas mon fort. Non que je sois insensible, au contraire, mais ça ne sort pas. Une fois à la mort de mon chat Garfield, mais c'est uniquement parce qu'il ne comprenait pas ce qui arrivait et je trouvais cela d'une injustice révoltante. Hier à nouveau, mes larmes sont restées pudiquement à l'intérieur, mais elles coulaient en un flot si puissant que le champagne que j'éclusais courageusement ne parvenait pas à combler le manque.
Hier soir je me suis rendu à ce que Goffman appellerait un rite d'interaction : la remise des diplômes de mes étudiants. La salle était majestueuse à souhait et les effets techniques déployés étaient si grandiloquents qu'on se demandait si Alexandre Arcady était en régie. La marraine de promo - Mercédès Erra- fit un éloge de la transmission, du choix du plaisir dans le travail et de l'apprentissage tout au long de sa vie pour trouver sa place. Puis vint le tour pour les pious pious de venir chercher leur parchemin en disant quelques mots.
A cet âge là, les remerciements vont souvent vers les parents qui vous ont ET supporté ET soutenu toutes ces années. La bonne éducation vous pousse à remercier l'école, son équipe, ses profs. La sincérité fait ressortir un éloge de vos potes de taff, de rush, de dernière minutes et nuits blanches. Et figurez-vous qu'à la fin de la cérémonie, la dernière major de promotion a prononcé mon nom dans les personnes l'ayant aidé... Dans quelques années, elle reviendra sur ce jugement hâtif. Pour l'heure, l'idée qu'on lui ai donné 3 cours en relation avec son emploi actuel et passé un coup de fil à ladite employeur pour tout dire tout le bien qu'on pensait de l'impétrante suffit à son bonheur. Et au mien. D'autant que la même promo a eu l'idée potache de me faire monter avec eux sur scène. Une mise en scène un brin légère, mais je me sentais dans ma tête comme sur une estrade ; en lévitation.
Je ne devais pas redescendre. Les heures qui suivirent, je bus des coups avec d'autres diplômés qui me présentaient leurs parents ou venaient tout simplement me glisser un mot sympa/précieux/émouvant (ne rayez aucune mention). Une espèce de shoot interminable de fierté mâtinée de joie enfantine. Je ne suis pas urgentiste, pompier, ou psychiatre. Je ne sauve pas des vies. Mais de pouvoir toucher du doigt un peu d'utilité à ce que vous faites est d'une richesse infinie. Mon boulot consiste la plupart du temps à faire des claquettes (au figuré, j'ai un cul de plomb et un sens de la rythmique incertain) pour des clients que je ne connaissais pas hier et ne verrai pas demain. Parfois, c'est plus durable, mais même là, mes relations professionnelles restent cantonnées au niveau de la prestation bien faite. J'ai la fierté artisanale de me dire que je fais bien ce que je fais et que ceux qui l'achètent ne portent pas réclamation. Bon, mais jamais comme hier je ne me sentais une utilité telle. Tout ne fut pas aussi béatement joyeux, une diplômée à qui il restait manifestement très peu de sang dans son champagne me renvoyait sa hargne au visage en hurlant que le chômage est un fléau inacceptable. J'essayais de lui expliquer que deux mois était sans doute un peu court pour pouvoir tenir un discours aussi désespéré mais promettais de l'aider à trouver. Et vais le faire dès ce matin. Pour elle sans doute, mais à l'évidence pour moi. Parce que leurs réussites sont communicatives et me procurent une joie indicible et difficilement contenue.
07:41 | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
Mais alors, il y a des profs heureux! Ça fait plaisir.
Écrit par : Yola | 31/10/2013
Pas qu'un peu !
Et j'en connais plein d'autres !
Écrit par : Castor | 01/11/2013
Ça vous donnerait presque envie d'être prof. Plus sérieusement très bon article, vous écrivez bien et ça réchauffe vraiment le coeur de voir ça. Vous avez clairement réussi à communiquer votre joie, on est heureux pour vous en fait, tout du moins je le suis. Je suis tombé sur ce blog par hasard, j'ai lu un article que j'ai beaucoup aimé, puis j'en ai lu d'autre que j'ai moins aimés (je suis culturellement plus de droite, mais je me soigne), mais j'admire votre honnêteté intellectuelle et franchement c'est un plaisir de vous lire. Très bon nom d'ex-chat par ailleurs si vous voulez mon avis.
Écrit par : Alexander | 01/11/2013
Pardon pour le délais de réponse Alexander, le comment m'avait échappé. Merci infiniment, ça pousse à continuer à alimenter ce blog ! Pour la différence culturelle, aucun souci, je donne des cours de rhétorique politique avec un libéral de droite et ça se passe très bien, les différences d'opinions sont la base : "éloge du conflit" est mon livre de chevet !
Écrit par : Castor | 05/11/2013
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