27/12/2013
La vie n'est pas un long fleuve tranquille
Le doute s'est instillé en regardant la bande-annonce. En sortant de la séance, il n'était plus de mise : Tel père, tel fils est bien librement inspiré de La vie est un long fleuve tranquille. Même point de départ : des enfants échangés à la naissance, l'un chez des riches, l'autre chez des plus modestes. Je spoilerai de trop si je révélais les autres indices qui laissent voir qu'à l'évidence, le réalisateur japonais a vu la comédie française. Enfin, la comédie... La satyre burlesque. Avec des riches très riches, et nobles, et vieux jeu, réac et autres. Et des pauvres très pauvres, roublards, sales, bruyants... La morale française était que les enfants s'accommode bien mieux des inégalités que les aînés. Bon. On rigolait bien. Enfin, je l'ai pas vu depuis une plombe mais j'avais beaucoup ri.
Dans Tel père, tel fils en revanche, on aurait plutôt envie de se faire les veines en sortant. De pleurer à torrents, à tout le moins. Les riches le sont sans ostentation, mais avec méticulosité (voiture, costumes et intérieurs d'appartement impeccables) ; les pauvres, c'était pas la misère. Ils prennent leur bain tous ensemble, vivent dans une banlieue lointaine et ne peuvent s'offrir une belle voiture. Au-delà des différences, quand le film pose la question de l'échange des enfants, c'est toute la différence culturelle qui saute aux yeux : la société japonaise est infiniment plus codifiée, plus dure que la nôtre. On dirait Gattaca. L'hôpital s'excuse et paye pour faute grave, dit que l'échange doit avoir lieu car les liens du sang renversent tout. Du côté des pauvres on prend les mômes comme ils sont, on pense surtout à leur accorder du temps. Chez les riches, l'interrogation cède face à l'introspection: la mère se renie en tant que mère puisqu'elle n'a pas détecté la présence d'un bâtard dans ces murs. Le père se rassure, ce fils qui grandit avec eux n'avait pas son penchant pour l'abnégation au travail, ce n'était donc pas son fils ; bon sang ne saurait tirer au flan...
Pendant 2h, on est ainsi pris dans une bouleversante réflexion sur ce qui fait filiation, ce qui fait famille. Tout y passe : l'influence de la société, le poids du sang, de l'éducation, l'inné et l'acquis. Passionnant mais plombant jusqu'au bout. Jusqu'au bout ! Même à la fin des deux films, sans rien gâcher, la différence est criante entre les deux films. Chez les français, Bouchitey prend sa guitare et entonne joyeusement "Jésus revient" quand les nippons terminent (pas de souci avec l'intrigue) avec les variations de Goldberg (de Bach) par Glenn Gould. Comme une belle envie de chopines d'un côté, de whisky sans glace, de l'autre.
Ces différences fortes m'évoque une très vieille blague juive. Un rabbin sur le point de mourir dit à sa famille réunie autour de lui "la vie elle est une flèche". Affolés, les petits enfants sillonnent la planète pour comprendre le sens de l'aphorisme. Personne ne se risque à une exégèse. Finalement, un rabbin à l'autre bout du monde leur dit avec certitude : "la vie elle est pas une flèche". Catastrophe. Les enfants reviennent dare dare voir leur aïeul sur le point d'expirer et lui confie leurs troubles devant la différence. L'aïeul de répondre : "la vie elle est pas une flèche ? Hé... on peut aussi le voir comme ça !". Je m'en voudrais de faire mentir ce beau relativisme talmudique, peut être la vie elle est pas un flong fleuve tranquille, mais elle est très belle quand même.
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