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17/05/2014

Le côté obscur de la guerre des clones

cote-obscur-300x200.jpgLa vie vaut tellement la peine d'être vécue quand on vit des moments tels que j'ai pu en vivre hier. Si l'on met de côté le léger inconvénient qu'il y a à se cogner un aller/retour Paris/Colmar dans la journée pour un petit 6h de transport, j'ai passé une journée merveilleuse. Avec 2h de rencontres avec 70 lycéens de terminale et mon comparse Saïd Hammouche en apothéose de l'escapade alsacienne.

Notre venue résultait de la volonté forte d'une prof de MUC (management des unités commerciales) qui pense que l'école doit être un lieu de débat ouvert sur la cité, de démythification, de délcoisonnement. Nous sommes arrivés devant une grande cité scolaire, située en ZUS. Comme le disait les profs, "en arrivant au lycée, on ne se rend pas compte qu'on est en ZUS". Zemmour et Finkielkraut seraient malheureux. Dans les 1300 gamins qui fréquentent l'établissement, beaucoup de non souchiens comme ils disent, des couleurs plus nombreuses que les pâleurs et pourtant peu de décibels supplémentaires, pas de rap assourdissant devant l'établissement, pas de ton comminatoire entre les uns et les autres et même pas de shit (moi qui me serait bien détendu après une grosse semaine, mais passons). 

Après un déjeuner avec les deux professeurs (l'autre enseignant la philo) nous nous sommes lancés dans l'arène, une salle surabondante. Seconde défaite pour les réacs : on a pu échanger pendant deux heures dans un calme remarquable, sans consultation de téléphone ou non. Seul un jeune homme dessinait avec concentration, mais lorsqu'il est venu me voir à la fin pour faire signer notre ouvrage, je puis attester qu'il avait fort bien suivi les échanges.

Les questions fusaient. Classiques "vous êtes riches ?", "vous êtes pour les quotas ?", "vous croyez vraiment qu'on peut changer les choses ?". Plus inattendues, "vous pensez qu'on peut remplacer le capitalisme ?", "comment faire pour renverser l'image de mon quartier sur mon CV ?". Puis vint la question délicate, la vraiment inattendue, l'uppercut au foie. Le jeune homme était tout près de nous, à côté de son voisin qui tenait l'Ipad pour filmer l'intégralité de la rencontre avec un sérieux incroyable (sa réalisation, pas forcément la rencontre). Il avait un parlé un peu heurté, mâtiné d'alsacité dans les aigus. Après la rencontre, il vint lui aussi demander une dédicace et devant mon étonnement à l'écoute de son prénom il me révéla être d'origine albanaise. Ce que je n'aurais su dire à l'aune de sa question : "vous parlez tout le temps de la couleur de peau depuis tout à l'heure. Mais les français comme moi ont besoin d'être aidé aussi, non ?". Impensable de laisser passer ça. Insister sur le fait que les autres sont tout autant français, nonobstant leur non appartenance à la blanchitude dominante. Et le rassurer, revenir et expliquer les phénomènes de discriminations qui résultent souvent d'inégalités agglutinés, sédimentées, supersposées. Lui dire que dans les quartiers les plus populaires, souvent le blanc se fait plus rare. Que dans le très beau livre d'Aymeric Patricot on peut voir qu'il est même parfois seul et à ce titre ostracisé, ce qui est tout autant condamnable que le racisme ordinaire. Le calme est revenu, nous avons son attention et il se laisse embarquer dans notre exposé sur la guerre des clones à mener. Mais tout le monde ne dispose pas du luxe du temps nécessaire de la pédagogie, lorsqu'on se retrouve englués dans l'immédiateté, ces nuances ne passent pas et on bascule du côté obscur de la guerre des clones. Des personnes persuadés que la lutte contre la discrimination consiste à enlever aux blancs pour tout donner aux noirs et aux arabes par mauvaise conscience. On ne doit pas les tancer ou les blâmer mais retrouver les espaces où le temps de la pédagogie existent. Ca doit quand même être une utopie réaliste, bordel. 

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