06/09/2014
Cachez cette redistribution que personne ne veut plus voir.
Ce matin en ouvrant la porte de mon immeuble j'ai vu un homme. Non pas debout, mais allongé. Il bouchait tout le pas de porte et je dus donc l'enjamber. Ma rue abrite un hôtel social et un centre d'alcooliques anonymes. Les échauffourées sont fréquentes, les bagarres moins, mais à le voir ainsi je crains qu'il ne se soit allongé là suite à de mauvais coups reçus. Il avait enlevé ses chaussures, dévoilant des jambes couvertes d'ecchymoses et à l'air visiblement mal en point. Je m'approchais.
Il ouvre les yeux, je lui demande s'il a besoin d'aide, s'il faut que j'appelle quelqu'un. Il me répond en espagnol (il a plus l'air de venir d'Europe de lest, mais il doit savoir que l'espagnol est plus parlé en France que le russe ou le hongrois) que non, surtout pas. J'insiste. Lui aussi. Par expérience, pour avoir beaucoup discuté avec des travailleurs sociaux, je m'en vais. Les personnes vivant dans la rue et tombées dans une très grande exclusion ont peur de l'aide. Peur de la police, peur que la douche et les soins promis ne signifient les prémices d'une expulsion. Je ne le ferai pas changer d'avis, je pars courir avec la colère liée au sentiment d'impuissance et de stupidité puisque nous sommes un pays si riche. La colère est mauvaise conseillère, mais bonne coach sportif. Je rentre 1H20 plus tard, le malheureux a disparu.
Entre temps, j'ai croisé son homologue de la rue d'Hauteville qui demande des clopes par un mix de gémissements et d'un sabir incompréhensible. Il est si désocialisé que je regrette de ne pas fumer pour lui filer le seul truc qui visiblement lui fait plaisir. J'ai aussi croisé une dizaine de plus jeunes hommes qui dorment toujours au même endroit, près du canal, sur des cartons, des réfugiés de je ne sais où. Mon quartier a ceci de particulier qu'il recueille toute la misère du monde. Il ne l'accueille pas pour autant, mais depuis la sortie d'Augustin Legrand et des enfants du Canal, je vois défiler une triste cohorte de réfugiés, afghans, irakiens, tunisiens, peut être lybiens que sais-je. Bref, des hommes fuyant la misère de chez eux. On ne peut pas dire que cela ait changé la physionomie du quartier, pour autant. Ils se terrent et fuient les rues où ils pourraient croiser des policiers. La misère fond littéralement au milieu des restaurants et bars branchés qui poussent comme des champignons. Hier encore, j'ai aperçu Roger Karoutchi dans une nouvelle cantine à 50 euros la soirée... Les écarts de l'un à l'autre ont quelque chose d'indécent qui bascule dans l'irrationnel lorsque l'on songe à l'immobilier. Dans ma rue, le m2 coûte 9000 euros à l'achat. Et les appartements ne restent pas longtemps en vente. L'argent circule donc. 9000 euros le mètre carré. Au-delà du studio, ce ne sont plus les revenus du travail qui vous permettent de devenir propriétaire dans ce coin. Le tenancier de blog doit à sa naissance d'avoir une tanière large ici. Avec ma moitié, nous gagnons plus que correctement notre vie et à nous deux, d'après les stats de l'INSEE, nous sommes sans conteste dans les 10% les plus favorisés, peut être les 5%. Pourtant, sans compter sur la naissance, impensable de vivre dans un trois pièces. Ces cartes là ne sont jamais redistribuées. Dans le livre de Piketty sur le capital au XXIème siècle, on voit bien que la rente prend une importance démesurée dans notre économie. Hollande a ramassé suffisamment cette semaine pour insister. Disons donc plus largement que la question de la redistribution a quitté le débat public au profit (je sais...) de la compétitivité, du coût du travail... Les malheureux que j'ai croisé ce matin n'émeuvent plus personne (je schématise) la doxa s'accorde sur le fait qu'il ne fallait pas venir. On y songeant, j'ai envie de repartir courir pour me calmer. Le sentiment d'impuissance face à la détresse sociale m'aidera peut être à retourner au marathon...
16:05 | Lien permanent | Commentaires (0)
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