17/03/2015
Le livre de sa mère
En ce moment j'ai beaucoup de boulot et d'insomnies. Voilà, avec ça je dois pouvoir participer au concours de Zeugma inauguré par le Masque et la Plume. Je ne m'en plains pas, c'est bien pratique pour lire. Avant l'ouverture des bureaux, ce sont des heures comptent triple comme on dit au Scrabble. On peut prendre de longues coulées de lecture sans être emmerdé par un mail stipulant "urgent" un SMS comminatoire ou un appel de quelqu'un qui s'ennuie en se rendant à un rendez-vous à la Défense et qui voulait bacouaner sur l'actualité.
Hier j'ai fini le très beau livre d'Alexakis 'la clarinette" où il parle de sa relation avec un Jean-Marc Roberts mourant et de l'impossibilité de remplacer son éditeur et ami. Et, hasard de la vie, j'étais passé ce week-end chez mon père qui m'a confié comme une relique "une petite femme" de Jean-Marc Roberts. Le livre de sa mère à plusieurs titres. D'abord parce que le récit du livre retrace leur relation à tous les deux. On y croise un Paris qui n'existe plus, interlope, où les putes parlent latin et philosophent avec des profs de khâgne, le Paris de Combescot ou de Gary, un Paris qui m'est très familier bien que je ne l'ai pas connu. Et dans lequel je me suis joyeusement plongé à l'heure où Paris s'éveille comme chantait Dutronc.
La relation de Roberts à sa mère est singulière, mais j'imagine que c'est bien tautologique de dire cela. Sa mère n'a jamais supporté qu'on supplante son clan. Elle n'accepte pas que "La Maillant" lui ai piqué sa carrière et ne comprend pas que "ton Modiano" (Roberts était son éditeur) ait plus de succès que son fils. Comment est-ce que la chair de sa chair peut être supplanté par un grand échalas à moitié bredouille ? Non mais franchement. Le père est absent, leur relation est baroque. Indéscotchables l'un de l'autre, même si elle est toujours en vadrouille et qu'il quittera le domicile avant 18 ans. Mais il l'appellera tous les jours. Tous les matins. "Tu peux quitter une femme, mais on ne quitte pas sa mère. Et puis, nous ne sommes pas tout à fait une mère et un fils comme les autres, tu le sais bien le Gros" lui a-t-elle lancé le jour de son envol du cocon.
C'est aussi le livre de sa mère que j'ai lu, dans le sens où l'exemplaire que je tenais dans mes mains comportait un envoi d'une page pleine, de l'auteur (décédé en 2013) à sa mère où il lui dit qu'il sait qu'elle n'aime pas ce texte, mais qu'il lui offre quand même. Comment la mère s'est-elle délestée du livre de son fils, comment est-il arrivé, il y a longtemps (donc bien avant la mort de Roberts), chez ce bouquiniste où mon père l'a exhumé et acheté ? Ce sont le genre de petits mystères, d'histoires dans l'histoires comme les notes et grifouillis, les pages cornées ou les numéros de téléphone inscrits dans les marges que l'ont trouve dans les livres d'occasions. Toutes ces petites histoires dans l'histoire littéraire qui renforcent encore mon amour indépassable pour le livre papier (même si je reconnais d'immense vertus au numérique quand on part pour un long voyage, hein).
08:05 | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.