05/12/2015
Portrait de la France en Giscard
Une fois n'est pas coutume, rendons hommage à LCP pour la production et diffusion d'une très longue interview de VGE par Frédéric Mitterrand. On pourrait gloser longuement sur l'interview de l'ancien par le neveu de son successeur. Il y a beaucoup de fulgurances, d'étonnantes flammèches sur la culture, l'Afrique (où il est exprime des propos colonialistes en prétendant l'inverse...) la Guerre Froide, la Chine Post Mao.... Si vous aimez l'Ex, regardez les deux parties et la fin où, les yeux embués, il écoute Mitterrand lui déclamer du Beaudelaire. C'est là
Mais dans ce documentaire, ce qui m'a le plus marqué chez l'amateur de diamants, c'est son antimodernité alors même qu'il a incarné une forme d'avant garde. Bien sûr, il appartenait au summum du clacissisme : grande bourgeoisie, études à l'X, Bottin Mondain et tutti quanti. Pensez, il avoue même avoir connu l'Afrique par le biais de Safaris... Renforcé à cela un physique d'Ancien Régime et le fait d'avoir fait des pieds et des mains pour rentrer à l'Académie Française, vous vous dites qu'il aurait été comme un poisson dans l'eau sous Haussmann. Pour autant, son bilan dit l'inverse : le droit à l'avortement, la majorité à 18 ans, les 1ères lois sur le handicap, le Musée d'Orsay et l'Institut du Monde Arabe (que Mitterrand a revendiqué avec une malhonnêteté qui lui est propre). Il aimait son époque (il s'aimait surtout lui, ça n'a pas changé) et pensait que la France avait tout pour y jouer un rôle. Je suis né sous Giscard, donc j'estime que cette époque de félicité et de rêveries de lendemains chantants, ça n'est guère loin. Bon pas si loin. Bon, faites pas chier... Et pourtant... A la question de Mitterrand "est-ce que la France d'aujourd'hui vous intéresse" ? Il répond ça : "non, celle que j'aimais est morte. Celle d'avant qui était mieux organisée, plus courageuse, acceptant son long passé historique, à l'aise avec cela, considérant qu'il doit y avoir des efforts, écartant l'obsession des vacances et de l'information à tout prix". Ca serait Francis Cabrel répondant ainsi à la caricature que lui font marionnettistes et imitateurs, cela prêterait à sourire. Mais celle-ci vient d'un Ex, sa formulation est ciselée et mûrement réfléchie.
Et Mitterrand, poli (obséquieux serait plus juste) ne le reprends pas. Comme pour Zemmour, Finkielkraut et tant d'autres mécontemporains, on ne les reprend pas en disant qu'ils regrettent leur 20 ans et qu'ils confondent déclin de leur prostate et déclin du monde. Tout le monde n'a pas la lumière et la grandeur d'âme d'Edgar Morin ou Michel Serres, octo et nonagénaires bondissants d'esprits et toujours capables de se dire que demain sera aussi riant qu'hier.
Demain, mollement, très mollement et peut être minoritairement parmi la population en âge de le faire, nous voterons. A l'heure où j'écris ça, je ne peux évidemment savoir si les sondages ont poussé le FN pour effrayer, reflété la juste réalité où (je n'ose y croire) sous estimé le total. Mais on peut déjà assumer que la poussée observée de façon continue depuis 2007 (où il était à son plus bas) avec une accélération très forte depuis 2011 (et l'accession de Marine le Pen à la Présidence du parti) se continuera. Hélas.Dans un excellent papier dans le Monde, un sociologue de l'université de Picardie montrait le triple vote FN, dans le Nord, PACA et l'Est, 3 régions où il atteint l'empyrée sondagière. 3 populations différentes, mais 3 approches giscardiennes, au sens de 2015. Dans le nord, les chômeurs et inactifs seront majoritaires à aller voter pour un parti leur promettant le retour à un monde où il y avait de l'emploi pour eux (sans dire quels emplois...). Dans le sud, les retraités iront urner pour mettre dehors ceux qui viennent sur leurs plages et qui n'étaient pas là il y a 30 ans sans se rappeler qu'eux mêmes sont venus sur les plages françaises où étaient de plus anciens. Dans l'est, les actifs et même les cadres iront voter pour que leurs impôts continuent de ne payer que pour de chimériques "souchiens". Trois électorats différents, trois ligne Maginot pour un chimérique monde d'avant qu'on ne peut recréer... Et qui ne cesse pourtant d'être plébiscité. Ca en dit long sur notre incapacité à avoir su raconter des lendemains qui chantent pour tout le monde préfèrent des hier sanglants.
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