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07/12/2015

Le prix du renoncement

img_qu_est_ce_que_signifie_rever_que_vous_tombez_4002_300.jpgComme tout le monde (ironie de l'expression. Comme "tous ceux de mon monde", bien sûr, mais clairement pas comme une majorité de français) hier, le visionnage des résultats électoraux fut comme une lente descente de speed. Chaque nouvelle région affichant des résultats hallucinants était un coup de poignard de plus. A part la Corse et la Bretagne, plus de 20% partout et dans 2 régions, donc, de 40%. Un sursaut d'abstentionnistes et quelques accommodements d'appareils pourrait nous préserver (merci le PS) un peu du chaos mais là, s'il est encore un responsable politique pour contester l'inexorable montée du FN, il faut le ranger aux côtés des climatosceptiques. Si d'aventure les manoeuvres décrétées hier soir à la va vite suffisaient, nous détournerions le regard jusqu'à 2017...

L'attitude de ces responsables est semblable à celle des climatosceptiques dans la mesure où ils se réfugient derrière un double mensonge : la faute des abstentionnistes et le vote de colère. JM le Pen totalisait 4,8 millions de voix en 2002, sa fille 6,4 en 2012. Hier idem. L'abstention renforce le % final, mais la triste réalité c'est que la fille a gagné des millions d'électeurs, dans de nouveaux segments de la société (et malheureusement, les profs) et surtout, comme le souligne bien Nona Mayer, le FN a gagné des votes de femmes qui lui étaient historiquement réfractaires. Les seuls à continuer à ne pas voter pour eux sont les hauts diplômés. L'équation : plus on est instruits, moins on vote FN, reste valable. C'est ballot car il va être délicat de rattraper notre retard en formation de 5 millions de diplômés d'ici à 2017....

L'autre mensonge c'est celui du vote de colère. Bien sûr, c'est le vote de gens en colère, mais largement aussi réfléchi que ceux qui sont allés voté pour une autre formation. En colère contre une immigration mal maîtrisée, apportant de la délinquance et autres billevesées répétées en boucle. Ce matin, on déverse des analyses hyper conjoncturelles : crise syrienne, attentats et je ne sais quelle autre peur récente. M'enfin Marine le Pen totalisait bien 6,4 millions de voix en 2012 ? Alors, oui, il y a un repli identitaire et sécuritaire, mais honnêtement, les politiques actuels insistent sur ces enjeux au-delà du raisonnable. S'il suffisait de cela, le choix de Hollande de voter la déchéance de la nationalité (vieille demande du FN....) aurait dû suffire. Et ça ne fut manifestement pas le cas...

J'ai souvent entendu dire que politiquement, la France avait le cul entre deux chaises. Bon sang que c'est vrai. Notre droite n'est même pas de droite dans le sens où elle n'a jamais réussi à susciter un rêve de droite, donc un "American dream" à la française, instillant aux électeurs l'idée que quand on veut on peut. L'autoentrepreneur est le Canada Dry de ce rêve, un ersatz poisseux... Et notre gauche, surtout (je pense qu'elle porte le plus lourd fardeau) n'est pas de gauche sur ce qui fait ses fondamentaux : éducation, santé, progrès social. L'éducation française part en capilotade, sauf pour notre élite. On se bunkerise de plus en plus tôt pour protéger les parcours des enfants nantis. Les déserts médicaux s'étendent, mais cela ne concerne pas les plus favorisés et le travail se précarise, se flexibilise, se volatilise, mais pas pour "nous" puisque je suis dans la bulle au chaud. Nier cela relève de l'hérésie. Depuis 30 ans, depuis que la mondialisation a ouvert ses portes en plus grand, nous faisons le choix de l'élite : soutient au CAC 40 (le Pacte de Responsabilité et le CICE comme derniers avatars...) contre celui aux PME-TPE et ce malgré un niveau de chômage record depuis des années... Dans les transports, tous les investissements mis dans le TGV, ce qui profite aux cadres qui bougent allègrement, quand les usagers des TER et RER voient leurs gares fermer et les trains se faire plus rares, victimes d'avanies matérielles... Et que dire de notre école ? Notre chère école, ce pilier de la gauche ? PISA nous dit que malgré les effets d'annonce, nous avons délaissé les ZEP où nous envoyons les profs les moins expérimentés, délaissons tout le parascolaire (assistants sociaux, infirmiers...) en moins grands nombres que dans les bonnes écoles... Dans la santé, nous concentrons des établissements de pointe et il faut un an pour prendre rendez vous avec un ophtalmo, à Brest. Une petite élite des métropoles, éduquée et à l'aise, ne voit pas les massacres territoriaux pourtant magistralement décrits par Christophe Guilluy et Laurent Davezies. 17 millions de français finissent leur mois à 50 euros près, vous allez continuer à leur parler de valeurs ? Ce matin nous payons le prix de l'aveuglement collectif et du renoncement à changer les choses, nous payons notre accommodement face à la montée des inégalités. C'est dramatique, ça sera peut être pire dimanche et nous l'aurons bien cherché.