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05/03/2016

Après le Leviathan

arton1417.jpgCela fait deux fois que je croise la route du Leviathan en quelques jours. Dans l'avion qui m'emmenait à New York, j'ai vu le film éponyme où le monstre mythique représente les forces maléfiques de la politique russe post URSS, avec corruption et liens avec les nouveaux oligarques et autres mafieux. A voir. La deuxième (je me laisse la possibilité d'une troisième) est donc sous la plume de Yannick Blanc, préfet du Val d'Oise et "grand serviteur de l'Etat" pour reprendre la formule consacrée.

Haut fonctionnaire depuis trente ans, infatigable défenseur du monde associatif, Yannick Blanc préside également aux destinées d'un think tank amateur de prospective sur le monde associatif, la Fonda. Un promontoire idéal pour voir les évolutions plus fortes qu'on veut le croire de la société française.

Dans son livre, il interroge justement cette fixité supposée du politique qui "ne ferait rien" et démonte patiemment cette assertion. Montrant très bien (à grands renforts de lecture foucaldienne, donc ça me convient très bien...) comment la matrice de l'Etat se déploie partout avec des promesses si fortes qu'elle ne peut tenir éternellement, il en vient à la conclusion que nous devons changer notre rapport à l'Etat pour sortir de l'impasse démocratique actuelle. En clair, pour retrouver confiance en ce qui nous fait faire société et en premier lieu l'école, il faut mieux en redessiner les contours pour que chacun sache ce qu'il peut attendre de lui même, de son entourage (et non de son "écosystème", savoureuses digressions de l'auteur sur l'envahissement de la novlangue libérale dans le champ public qui rappelle l'immense "LQR" d'Eric Hazan) et enfin de l'Etat. Il ressort de cela que même les plus vitupérants ne changeraient pas nécessairement tout s'ils accédaient aux responsabilités.

Un des passages qui m'a le plus interpellé est celui où, suivant l'injonction présidentielle à effectuer un "choc de simplification" le préfet Blanc demande à ses services ce qu'il faut simplifier. Pas de réponse. Il demande donc au jeune stagiaire de l'ENA, des yeux neufs, de dire ce qu'il faut bouger : à peine mieux... Quelques ajustements sur l'URSSAF ou le RSI, dont les relations avec les usagers sont reconnus comme catastrophiques ; mais tout ne va pas si mal dans l'ensemble. Bigre ! Mais alors ? Tous ces big bang fiscaux, administratifs, annoncés depuis 15 ans ne seraient donc pas réalisables ?

Deux options ressortent : soit c'est plus compliqué, soit c'est un coup de balai. C'est systématiquement la seconde opinion qui l'emporte avec cette fameuse maxime d'Einstein souvent détournée : "on ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l'ont engendré" qui devient "on ne peut sortir de la nasse si l'on conserve les mêmes". "Les mêmes" devient symbolique, même si le renouvellement de notre personnel politique est très faible, parler des "mêmes" est évidemment abusif. Peu importe pour la majorité de l'opinion. Rapidement, le problème s'étend à des pluriels invisibles : les technocrates, les énarques, les hauts fonctionnaires, eux quoi... Et donc un nouveau mot d'ordre "du balai". Passée la vague de révolution démocratique d'Amérique du sud qui vit des convulsions fortes (Lula mis en examen hier pour corruption, y a t'il un symbole plus fort de la déliquescence de ces espérances folles ? ), on assiste actuellement à des envies de balais moins réjouissants et annonçant des fermetures fortes... D'Erdogan à Orban, de Szydlo à Trump, les racistes décomplexés ont le vent en poupe.  

Pour éviter qu'ils ne triomphent, Yannick Blanc propose un "moment associatif" s'appuyant majoritairement sur les thèses de la Prix Nobel Elinor Ostrom, spécialiste des communs. A l'aune de cette analyse, il redessine un nouveau triptyque pour l'Etat de demain : régulateur, investisseur, intégrateur (sa vision de "stratège").  Au final, la force du livre est sans conteste sa modestie. Modestie du propos, modestie des conclusions, modestie des analyses. Mais à faire assaut de modestie, Yannick Blanc nous ouvre une voie résolument réalisable. Plutôt salutaire. 

Commentaires

"il en vient à la conclusion que nous devons changer notre rapport à l'Etat pour sortir de l'impasse démocratique actuelle."

Chacun devrait oser dire " L'Etat c'est moi" , ce que n'a d'ailleurs pas explicitement dit Louis XIV ...

" c'est moi " , soit , dans l'esprit du préfet Blanc : j'en suis une part, à ma place ; quand je le critique , je me critique ; s'il n'existait pas , il faudrait l'inventer ...

Écrit par : Léo | 05/03/2016

Occasion de se reporter , dans les archives ( 27-09 -2015 ) à l'article " Fonctionnaires , pourquoi tant de haine " , avec les nombreux commentaires .

J'apprécie que Castor soit , sur ce sujet , aussi ouvert, nuancé et positif , dans l'esprit de ce préfet intelligent ( ils le sont en très grande majorité , surtout quand ils ont fait carrière dans la Préfectorale sans être trop " politiques" )

Écrit par : Mentor | 05/03/2016

Mentor, je sens que vous même pensez à quelqu'un qui exerça ses fonctions sans que nul puisse jamais déceler le bulletin de vote qu'il choisissait !

Écrit par : Castor | 05/03/2016

"Dans son livre, il interroge justement cette fixité supposée du politique qui "ne ferait rien"

L'état n'en fait toujours pas assez ou bien il en fait trop ; de toute façon il a tort ; ceux de ses agents qui n'ont pas la tête solide en deviennent dingues ; les autres , les plus nombreux , font consciencieusement leur job en essayant de rester stoïques

A quand un" mémorial du fonctionnaire inconnu " ? C'est un saint !

Écrit par : Jean | 05/03/2016

L'Etat , bouc émissaire trop commode , plus encore que l'Europe , l'étranger ou le simple voisin .

Certains de ses agents finissent par devenir " chèvres" ...

Merci , cher Castor , pour cet article à la fois salubre et tonique , d'autant plus remarquable qu'il n'est pas rédigé par un fonctionnaire .

Écrit par : Bernard | 05/03/2016

Quand il ne reste plus rien ou presque , il reste l'Etat !

A l'automne 1870, quand tout foutait le camp sous la poussée des armées prussiennes , le télégraphe fonctionnait presque normalement à quelques kilomètres des localités envahies .

Pendant le siège de Paris , la Poste parisienne continuait à faire son travail ( le courrier était expédié par ballons depuis Paris ) ; ce système D avait été mis en place en quelques jours .

Pensons aussi au vieil instit alsacien du conte d'Alphonse Daudet qui eut à coeur de faire sa " dernière classe " en respectant les règles, et sa règle à la main , devant les habitants du village accourus à l'école aux côtés des élèves : tout un symbole : l'état présent dans sa plus modeste et plus noble expression .

Écrit par : JC jaurras | 05/03/2016

Chez nous , monsieur le maire , quand il prononce une allocution ( 14 juillet , 11 novembre ...) ne manque jamais de rappeler qu'il est , certes un élu local , mais aussi et autant un représentant de l'Etat ( notamment pour l'état - civil , + quelques pouvoirs " de police" )

Personne ne dit de mal de l'Etat , sinon parfois pour plaisanter ; on sait tout ce qu'on lui doit et tout ce qui nous manquerait s'il n'était pas là .

Écrit par : Octogénie | 05/03/2016

"Mentor, je sens que vous même pensez à quelqu'un qui exerça ses fonctions sans que nul puisse jamais déceler le bulletin de vote qu'il choisissait !
Écrit par : Castor | 05/03/2016"

Quand j'étais stagiaire en préfecture ( il y a bien longtemps ...) , mon préfet , gaulliste de toujours et connu comme tel , rappelait qu'un représentant de l'Etat , aussi modeste soit-il , doit veiller scrupuleusement à ne pas afficher une appartenance ni même une préférence en matière de politique et de religion .

Je me rappelle lui avoir demandé comment je devrais me comporter au cours d'une messe " officielle " à laquelle il me chargeait de le représenter , moi catholique pratiquant comme lui ; sa réponse, en résumé ; service minimum ; se lever quand l'assistance le fait ( courtoisie élémentaire ) , ne pas s'agenouiller , ne pas aller à la table d communion , ne pas s'associer aux prières ni aux chants ...

Actuellement , à ma connaissance , les préfets sont plus souvent " politiques" qu'il l'étaient " de mon temps" ; mais la plupart de ceux qui le sont ne s'affichent pas exagérément en tant que tels

Ceux qui ne sont pas issus de la préfectorale ont parfois un peu de mal à respecter cette neutralité , faute d'avoir pris l'habitude de le faire dans leur vie antérieure.

Écrit par : Mentor | 05/03/2016

Le monstre biblique Léviathan est effectivement peu plaisant : mais le célèbre "Léviathan" de Thomas Hobbes a souvent été mal compris : il s'agit ,non d'une apologie de la tyrannie , mais d''un essai magistral de justification de l'existence d'un état : les hommes , ne satisfaisant pas de vivre dans une jungle où règne la loi du plus fort ( l'homme " loup pour l'homme" ) se donnent des institutions qui régulent la violence ; chacun abandonne une part de son pouvoir pour vivre en paix ...

On n'est pas très loin du " Contrat social" de notre ami Jean-Jacques , plus jeune d'un siècle ...

Écrit par : Père Synthèse | 05/03/2016

Je regrette d'avoir décrit un " état de nature" trop idyllique ; j'étais , à l'époque une sorte de bisounours ; je suis , depuis , devenu un peu plus réaliste , sinon pessimiste ...

Le préfet dont parle Castor est sympathique et a bien du mérite: son parcours n'a pas été un long fleuve tranquille , si j'en crois ce qui se dit de lui sur internet .

So département , le Val-d' Oise , porte un joli nom ; c'est celui d'Ermenonville , que je connais bien ...

Écrit par : Jean-Jacques | 05/03/2016

Bravo et merci , cher Castor , pour cet excellent texte .

L'Etat est sans cesse sommé de simplifier et de se simplifier ; c'est devenu une sorte d'incantation tenant leu de pensée ;

Le secteur dit privé n'est pas un modèle de simplicité et lui si prompt à critiquer les fonctionnaires , devrait commencer par balayer devant sa porte ( les contrats d'assurance , les règlements de copropriété etc. )

Si l'Etat est trop compliqué , c'est parce que la vie l'est de plus en plus , souvent sous la pression du " privé " : demande de toujours plus de protection , de précautions .

Ce qui importe , ce n'est pas la simplification pour elle-même , mais la clarté dans les actes et dans l'expression , ce que l'on appelle la transparence ...

Écrit par : Père Castor | 05/03/2016

"Au final, la force du livre est sans conteste sa modestie. Modestie du propos, modestie des conclusions, modestie des analyses"

Il est difficile , et donc méritoire , d'être "modeste" et ceci même si l'on réussit ; la modération , la nuance , la tolérance sont les vraies forces ; malheureusement , les médias et les réseaux sociaux ne les favorisent pas ; il faut sans cesse forcer le trait , se faire voir, se mettre en avant, écraser les autres ...

Soyons fiers d'être modestes !

Écrit par : Johanna | 05/03/2016

" Yannick Blanc préside également aux destinées d'un think tank amateur de prospective sur le monde associatif," ( (Castor)

Pourquoi , au lieu de " think tank" , ne pas dire "groupe de réflexion" ? " tank" est un terme peu pacifique , qui jure avec la pensée ...

L'association : une belle idée , toujours neuve en dépit de son âge" ( la bonne vieille loi de 1901 ) , mais trop souvent galvaudée : les responsables élus de nombre d'associations sont des salariés , comme les militants ; il faudrait revenir aux sources .

La professionnalisation du concept sévit tout particulièrement dans le sport et aussi , hélas , dans l'humanitaire ...

Écrit par : Léo | 06/03/2016

D'accord à 100 % avec vous , cher Léo ; le ver est entré dans le fruit avec la pratique immodérée de la subvention et , s'agissant plus particulièrement du sport , la chasse aux sponsors et à la pub .

Dans l' " humanitaire " et le " sociétal ", un exemple flagrant de détournement du concept d'association : SOS -Racisme , qui , dès sa création , a été abusivement subventionnée , les cotisatiions des " associés " ne représentant qu'une très faible part de son budget .

Une subvention modeste aide une association à se développer et à survivre ; un soutien excessif de l'état ou d'une collectivité territoriale la rend dépendante et pervertit son contrat fondateur .

Écrit par : Jean | 06/03/2016

Rangé des voitures depuis un bail , je ne m'intéresse plus qu'en observateur à ce que l'on appelle le " mouvement associatif" ; occasion de sourire ( de nombreuses associations bidon , à l' "objet " ( terme consacré pour dire " mission " ) plus que problématique , mais aussi de pleurer : magouilles , détournement de la belle idée ...)

Au temps où il m'arrivait de m'en occuper dans le cadre de mon job , on y découvrait le meilleur ( des miliants dévoués et désintéressés , des actions utiles ) , mais aussi le pire ("objet" non respecté , gabegie financière ...)

Il était difficile de sévir efficacement car on risquait de jeter le bébé avec l'eau du bain ; on s'y résignait comme à un mal nécessaire ; le secteur le plus follklo : le sport ; juste après :
l' " education populaire " ; terrains minés ...because politique ...

Écrit par : Mentor | 06/03/2016

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