08/06/2016
L'indécence de la valeur variable
Hier une amie m'a appelé pour me proposer d'animer une matinée complexe, consacrée aux enjeux sanitaires nationaux. Elle m'a expliqué que ça serait un grand moment pour moi, de pouvoir être ainsi exposé et, à moyen terme, je pourrais sans doute réitérer l'expérience de nombreuses fois et que là, ça serait payé... Ceci n'est pas un énième post sur le fait qu'on considère parfois certains travaux comme des métiers, parfois comme des tâches d'amateurs, comme pour mes amis photographes qui doivent sans cesse faire du plaidoyer pour dire que leur métier ne se limite pas à appuyer sur le bouton d'un téléphone portable.
Non, cela je le pense toujours, évidemment, après avoir longuement discuté avec des praticiens de tous ces métiers aux contours flous, où l'amateurisme est suspecté, où l'on vous rétorque que vous "jouez". Parfois, ce genre de propositions est sincère (celle qui me fut faite s'inscrit dans ce cadre) parfois, c'est une petite entourloupe de plus.
Je trouve plus intéressant pour comprendre l'indécence de la valeur variable de regarder de l'autre côté de l'échelle. D'ailleurs la proposition qui m'a été faite s'inscrit dans ce cadre, puisque j'estime que ce l'on me paye parfois pour faire mon métier d'animateur est excessif. Alors, oui, je sais, j'ai le droit de tout donner à la Croix-Rouge ou de refuser. Je fais un peu des deux (pas à la Croix-Rouge, à d'autres...), mais si je refuse trop pour rester dans une pureté virginale, je suis en réalité le dindon de la farce. Le problème est plutôt de considérer que lorsque vous faites quelque chose gratuitement, vous le faites vraiment gratuitement, sans songer à ce que serait votre "valeur marchande" pour ce genre de prestation. Car vous devez sans cesse remettre en cause ladite valeur, faute de quoi vous êtes perdu. Or, je note que le haut de la pyramide ne le fait pas assez. Les consultants d'EY ou Deloitte considèrent toujours qu'il est logique de facturer leurs "services" 2 000 ou 3 000 euros jours (je suis au courant que ça peut monter plus haut mais ma conscience de gauche m'interdit d'aligner de tels chiffres) et sont ravis de pouvoir dire aux associations à qui ils donnent un coup de main que, quand même, quand on peut aider... Mais au fond d'eux, ils pensent toujours que le milieu associatif est composé d'une armée de branques incapables de se payer leurs services dûment facturés à ce prix là...
Cette variabilité du 1% s'étend à d'autres domaines. Ils ont souvent des violons d'Ingres pour lesquels ils considèrent normal de ne pas être payés : tel Christophe Barbier dont les pièces de théâtre sont gratuites à l'entrée, tel grand patron qui fait un concert rock gracieusement (fournit-il les boules quiès ?) ou encore tels grands industriels acceptant de surseoir à leurs droits d'auteurs lorsqu'ils publient leurs impérissables vues sur le management... Pas étonnant, dès lors qu'ils déconsidèrent tous les professionnels exerçant sérieusement ces métiers. D'où l'indécence des valeurs variables qui ne varient pas assez dans les deux sens : les saltimbanques n'ont pas l'occasion de moquer (ils pourraient) le grotesque des journées de conseil à quatre chiffres, ils se contentent de les ignorer.
L'opposé de l'indécence gagne du terrain, aux Etats-Unis. La théorie orwellienne de la common decency pousse fortement puisque le SMIC a été augmenté de plus de 8% en moyenne, depuis 2 ans et ce mouvement devrait très largement s'amplifier, de la Californie au Massachussets. Cela parce que nombre de responsables ont réalisé, sous la pression de certains groupes de travailleurs, que l'on ne pouvait pas sans cesse précariser le travail. C'est bien, mais ça n'est que la moitié du chemin. Pour avancer vraiment faire une réconciliation sur le travail et l'emploi, converger harmonieusement vers un revenu d'existence qui conviennent à tous et il est temps d'opposer un autre SMIC, le salaire maximum imposé sur la croissance. Y croire...
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