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13/08/2016

Uber, racaille légale

9969475-16172623.jpgIl y a quelques années, alors que je servais de plume à un politique pour un livre prônant la légalisation du cannabis, j'étais tombé sur un article peu orthodoxe et très efficace décortiquant la nature ultra libérale des dealers : horaires de fous, grande précarité de l'emploi, absence de congés payés, absence de protection sociale et inégalités de répartition des richesses folles. L'article (disparu depuis) était sobrement intitulé : le dealer est une grosse enflure ultralibérale. 

Dans le détail, l'article expliquait bien que la percée numérique des dealers était extrêmement marquée historiquement et socialement. Elle ne relevait pas d'une fascination pour l'interdit dans les quartiers populaires, mais qu'on pouvait quasi plaquer un décalque de la courbe de montée des problèmes sociaux et du chiffre d'affaires liés au trafic. Comme pour toutes les embrouilles liées au néolibéralisme, le tournant c'est l'adoption mondiale de la ligne Thatcher/Reagan au début des années 1980. Deux spirales vicieuses se mettent en place : explosion du chômage touchant majoritairement les quartiers populaires et surtout les jeunes, augmentation des inégalités scolaires, problème d'orientation... Et en parallèle, hausse vertigineuse du trafic de drogue. Une croissance dont les ferments sont clairement l'abandon de l'Etat : le gros dealer roule en bagnole (de sport) et n'attend rien des transports publics. Lorsqu'un de ses proches tombe malade, il paye pour l'envoyer à l'hôpital privé. Il méprise l'école publique qui forme -selon lui- à des voies de garage, mais saura payer une formation privée. Ad nauseam. 

Quand l'Etat disparaît, il faut bien que d'autres structures le remplacent, la nature ayant horreur du vide. Ca peut et d'ailleurs c'est en bonne partie, la religion. L'auteur du livre et maire d'une commune en proie à de graves problèmes de trafic, m'expliquait qu'il voyait affluer vers la Mosquée des tas de jeunes au profil similaire : déboussolés, isolés professionnellement et socialement, ils cherchent un discours, des conseils, des fréquentations et un truc à faire pour sortir de chez eux. Ce vide peut également être comblé par des structures privées types fondations, associations (mais elles saturent, faute de moyens) ou donc, des dealers.

Lorsque Malek Boutih parlait de trop de "complaisance" d'élus de banlieues, il visait notamment le trafic de drogues. Il n'a pas tort. Autoriser le trafic, fermer les yeux, ne pas sans cesse mener des expéditions là où l'on sait que l'on a le plus de chances de trouver des dealers, c'est aussi s'assurer une forme de paix sociale. Car le trafic amène des devises (2 milliards d'euros par an) dans des quartiers paupérisés et sans cette manne, qui sait si nous n'assisterions pas à de nombreuses jacqueries ? Le livre est sorti il y a 6 ans, l'édile a fait la tournée des médias, un embryon de débat existait au début du quinquennat et depuis rideau. La situation s'est aggravée depuis et le passage du jour au lendemain à une légalisation complète serait plus compliqué ; mais tout autant nécessaire.

Je me permets un parallèle avec mes amis d'Uber, car les similitudes sont troublantes. Uber a majoritairement recruté ses chauffeurs dans les mêmes quartiers abandonnés de la puissance publique. Je rassure, je ne pousserai pas jusqu'à dire que ça sont les mêmes jeunes. Mais dans le discours, la tonalité, tout était identique au trafic : l'Etat ne fait rien pour vous, on vient à vous, on vous file le taff, on vous aide pour avoir les bonnes bagnoles, on est vos sauveurs. Et d'ailleurs, la popularité de l'entreprise/application dans les quartiers est très forte. Logiquement, d'ailleurs : elle recrute sans discrimination ethnique ou religieuse, se fout de tout. Elle veut de l'ultra disponibilité, pas de complainte, et du chiffre. L'engouement pour Uber dans les quartiers sensibles, comme la vague de dealers hier rappellent de façon différente, mais suivant une même lame de fond, que nous avons abandonné socialement et économiquement une bonne partie de notre République. Et nous ne promettons plus grand chose pour eux, exit les "Plan Marshall" de Sarkozy et confié à Fadela Amara. Non désormais, la fameuse "reconquête" prônée par certains élus ne s'envisage que sur les thèmes identitaires et sécuritaires. S'ils osent cela, c'est qu'ils savent que les habitants de ces quartiers, ne croit plus en eux et ne se déplacent plus (sauf qu'on les y aide avec des billets, comme Serge Dassault) à de rares exceptions ; la forte mobilisation de 2012 pour battre Sarkozy a depuis été oubliée et toutes les élections intermédiaires ont vu à nouveau l'abstention exploser, là bas. Le deal ou Uber ont ceci de différents qu'ils ne promettent rien qui ne soit tangible, du concret. Ceci m'amène à dire que j'ai oublié le 3ème acteur qui fait une percée forte dans les quartiers : l'armée. L'armée recrute avec succès dans les quartiers en difficulté pour les mêmes raisons qu'Uber : recrutement sans discrimination, pas de bullshit sur une chimérique "évolution rapide de carrière" et autres storytelling. Non, les recruteurs de l'armée parlent cash : risque de mort, équipement lourd à porter et en face une mission, servir son pays. Ce discours cash fonctionne à plein. Comme pour le deal et les racailles légales d'Uber. Ca devrait interpeller, non ?  

Au-delà de la reconquête économique et sociale des quartiers pour proposer d'autres débouchés aux habitants, reste à traiter la question des délinquants de drogue et des délinquants Uber. Pour les premiers, je reste un farouche partisan de la légalisation afin de casser les trafics, restaurer la sécurité et limiter les troubles sanitaires. Pour les seconds, les chauffeurs ne sont évidemment pas en cause : si la délinquance sociale et fiscale est forte, il n'y a qu'un parrain malfaisant ce qui facilite sa traque. Encore faut-il le nommer ainsi et ne pas tomber dans le mythe du sauveur que la firme voudrait tant que tout le monde reprenne la bouche en coeur.