29/08/2016
Ecrire, décrire, travestir. Malaise dans la représentation du réel
D'ici quelques jours, on va oublier ces histoires de burkinis. Jusqu'au prochain fait divers. Alors, la déferlante médiatique reprendra pour proposer un référendum autour d'une anecdote. Pour ou contre la djellaba ? Le Gefilte fish est-il compatible avec les cantines de la République (déconnez pas, dites non...). Nous ne dérogeons jamais à la tentation de nous vautrer dans le ridicule. Mais nous nous y gobergeons avec une félicité croissante : ce matin, Nicolas Sarkozy a proposé de modifier la constitution pour y faire rentrer une loi contre le burkini... Imagine-t-on les auteurs du programme du CNR en 1945 soupeser leurs écrits à l'aune de la rubrique des faits divers ? Bah non.
Eux se posaient des questions simples : comment vivre mieux ? Comment changer la vie des gens, de la naissance à la mort. Ca donne la question des retraites, de la sécurité sociale et autres avancées. On nous opposera que la seconde guerre mondiale était passée par là, que tout était en ruines et qu'il est plus aisée de construire sur des ruines que de se lancer dans des grands travaux. Pas forcément faux, mais plus que réducteur. Bien sûr, nous avons plus à perdre car nous avons plus construit et un CNR bis n'est pas envisageable. Mais un CNR du XXIème siècle, oui. Adapter les grands enjeux envisagés en 1945 à la réalité de 2016, dans une France qui a gagné 20 ans d'espérance de vie, bousculé son ratio entre actifs et retraités, changer de rapport à la durée dans l'emploi et aussi, changer la composition de croyants dans le pays. On peut faire ça, mais il faut poser la question dans ses termes, c'est à dire en adressant le réel.
Toujours ce matin, Nicolas Sarkozy a habilement retourné le problème en disant que l'élection de 2017 se jouera sur la capacité à traiter "le réel contre le virtuel" et donc, "la France qui souffre contre Saint-Germain des Prés". Mais quel tartuffe ! Et pour traiter le réel, il nous propose le burkini d'une part et telle entreprise désireuse collectivement de passer avec urgence aux 39 heures. C'est fou. Dans "le miroir et la scène", la philosophe Myriam Revault d'Allones montre bien que la fameuse "crise de représentation" de la politique n'a rien de nouveau et montre bien comment dans les deux grandes sources d'inspiration de représentation - la peinture et le théâtre - c'est la seconde qui prévaut systématiquement jusqu'à la névrose.
L'élection de 2017 va sans doute en partie se jouer autour de la notion de démocratie, entre tentation autoritaire par ras le bol de décisions trop timorées (comme dans de très nombreux autres pays) mais aussi autour de la question de la vérité. Les élections américaines, qui nous inspirent tant même si l'on s'en défend, suivent cette piste dangereuse de campagnes venimeuses, où la critique de son adversaire a depuis longtemps pris le pas sur la mise en avant de ses propres propositions. Mais elles empruntent également une part folle de mensonges éhontés qu'une multiplication des ressources types "décodeurs" ou "désintox" essayent autant que possible de contrebalancer. Mais la limite de cela, c'est qu'il s'agit toujours d'une réaction à un mensonge. La question à se poser est donc plutôt comment réussir à réancrer de la réalité dans le débat. Du tangible et du lourd, pas du fait divers.
Hier, une autre de ces histoires a défrayé la chronique. Appelons cela un contre-feux : deux femmes voilées exclues d'un restaurant au motif que "tous les musulmans sont terroristes". Faut-il concentrer le débat là dessus ? Condamner le restaurateur ne serait-il pas suffisant ? A l'évidence, si. Partir de cette affaire pour en déduire que tous les français sont racistes, et anti-musulmans est une spirale folle. Vous aurez forcément, en face, d'autres voix pour parler des moments où "les petits blancs" sont pris à partis par "des musulmans" et "la police ne fait rien". Il faut siffler la fin de la récré et amener le débat sur d'autres rives.
Le CNR de 2017 aurait sa raison d'être : dans un monde où l'emploi s'est durablement raréfié et où l'emploi salarié vole en éclats, comment recréer un bouclier social comprenant formation, indemnité pendant les phases de non emploi (sur la base de l'intermittence, par exemple) et compte pour la retraite ? En voilà un sujet qui concerne des millions de Français et qui n'est pas tranché.
Si vraiment il faut reparler de questions identitaires (dans l'état actuel des choses, en faire l'économie est hélas impossible) et puisqu'il faut parler de l'islam en France faute de quoi le débat ne s'apaisera pas, pourquoi ne pas écouter Nathalie Goulet, cette député UDI rédactrice d'un rapport sur l'islam en France. Dans un grand entretien au Monde cet été, elle était loin de toutes ces polémiques ou décisions à l'emporte pièce législative sans faire preuve d'angélisme ou de déni de réalité. Elle explique bien, ainsi que le premier des problèmes ce sont les 301 imams étrangers pour 2 500 lieux de culte, soit 13% (c'est pas neutre...). 301 possibilités offertes à des turcs ou marocains, ne parlant pas français, de délivrer en arabe une vision de l'islam qui n'a pas été pensé pour s'appliquer dans une République laïque. Ca, ça pose souci. Combien de matinales, d'interviews sur ce sujet ? Voilà... Par ailleurs, pour reprendre le terme de représentation, peut être celle de l'islam pose-t-elle problème, mais la solution ne peut être une vision imposé de l'extérieur, type CFCM de Sarkozy ou retour de Chevènement façon Hollande, comme le résume parfaitement Nathalie Goulet : "La mise en place du Conseil français du culte musulman (CFCM) était une nécessité, il fallait un interlocuteur à l’Etat. Mais depuis des années, cet organe n’a jamais réussi à être représentatif. Si j’étais présidente du CFCM, j’ouvrirais un grand débat, je mettrais en place une assemblée constituante pour revoir les statuts, j’appellerais les jeunes et les membres d’associations qui peuvent se sentir exclus à participer aux travaux, je mettrais en place le principe un homme ou une femme égale un vote… Mais cela doit venir des musulmans eux-mêmes. Peut-être qu’un jour, de jeunes musulmans lanceront une pétition en ligne et créeront une grande association concurrente". Voilà une femme qui parle du réel, suivons son sillon.
11:04 | Lien permanent | Commentaires (9)
Commentaires
"Voilà une femme qui parle du réel, suivons son sillon."
le SILLON mouvement créé par des chrétiens sociaux , rapidement condamné par l'Eglise ; à l'origine , hélas , du MRP , mais de sensibilités et réalisations progressistes (prêtres ouvriers , " Témoignage Chrétien ) ; certains membres de l'UDI et même du MODEM s'en inspirent aussi quelque peu sans nécessairement le dire ...
Écrit par : ...Lysistrata ... | 31/08/2016
"les deux grandes sources d'inspiration de représentation - la peinture et le théâtre " : et aussi la sculpture ( montrer ses biceps ) et la danse ( un pas en avant , un pas en arrière )
Écrit par : ...Ravachol ... | 31/08/2016
"les auteurs du programme du CNR en 1945 " :le CNR , référence intéressante mais peut-être incompréhensible pour certains visiteurs du blog ; une petite note en bas de page n'aurait pas été inutile ...(1)
(1) Mes étudiants de Sciences Po n'en ont guère entendu parler .
Écrit par : ...Cicero ... | 31/08/2016
Présentation du SILLON par Marc Sangnier , son chef , 5 ans avant sa condamnation pour " modernisme" par le Vatican
« Le Sillon a pour but de réaliser en France la république démocratique.
Ce n’est donc pas un mouvement catholique, en ce sens que ce n’est pas une œuvre dont le but particulier est de se mettre à la disposition des évêques et des curés pour les aider dans leur ministère propre.
Le Sillon est donc un mouvement laïque. » (La Croix, 1905)
---Propos audacieux compte tenu de l'époque ( séparation des églises et de l'état ; relations tendues entre le catholicisme institutionnel et l'état ).
Écrit par : ...Saint-Thèse ... | 31/08/2016
Parmi les militaires de l'époque 1990-1914 , une majorité de catholiques réactionnaires et anti dreyfusards , une minorité laïque et républicaine ( parfois francs-macs ) et un certain nombre de chrétiens sociaux , certes paternalistes ( thème du "rôle social de l'officier")
Influence de ces derniers sur le jeune de Gaulle , par ailleurs quelque peu royaliste ( mais pas "Action Française" )
Écrit par : ...J Mentor ... | 31/08/2016
Certains militaires en avaient sous le képi ; il s'en rencontre encore ...
Écrit par : ...Gavroche ... | 01/09/2016
Chers Julius, Cicero et Robeauté , quiid des robots militaires ?S'il en existe , qu'ont-ils sous le képi ?
Écrit par : ...Anna-Lisa... | 01/09/2016
"D'ici quelques jours, on va oublier ces histoires de burkinis. Jusqu'au prochain fait divers." écrit avec pertinence Castor .
Un " fait divers " d'importance : la bombe Macron qui vient de faire exploser la sphère politico -médiatique ; un article , svp cher Castor !
Un autre : une nouvelle chaîne télé ce soir à 20h ; ça vaut aussi un papier ...
Écrit par : ...Pépé Castor... | 01/09/2016
Ne demandons pas à Castor d'ouvrir une rubrique " chiens écrasés" ; il a mieux à faire !
Écrit par : ...Ravachol ... | 01/09/2016
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