03/01/2017
Réformiste et contestataire sont dans un bateau.
Les nécrologies se suivent et se ressemblent pour François Chérèque, parti en prenant trop au pied de la lettre l'aspiration à la retraite à 60 ans. Paix à son âme, et surtout mort au cancer, putain... "Un grand syndicaliste réformiste nous a quitté", pleurent les journaux de Libération au Figaro (qui ajoute qu'il était "courageux") et l'éloge funèbre le plus troublant vient de Laurence Parisot, qui parle de "la perte d'un ami cher, d'un homme d'état". Avec ça, on sent vraiment que "le réformiste" soupesait toutes ses décisions en repensant à la Sociale... Toutes les nécros reprennent évidemment le tournant de la réforme des retraites de 2003, où le leader de la CFDT fit une pirouette déconcertante pour sa base : embrasser le projet de Jean-Pierre Raffarin, contrairement à la "protestataire" CGT. Des dizaines de milliers de départs de la centrale pour une autre, ça appelle peut être un autre commentaire que ces deux mots valises, non ?
Faut-il offrir un dictionnaire des synonymes aux éditorialistes économiques ? Dans "les nouveaux chiens de garde", documentaire tiré du livre de Serge Halimi, Frédéric Lordon évoquait avec gourmandise le caractère profondément estropié du vocabulaire des journalistes économiques les plus invités sur les plateaux. La verve de Lordon est jubilatoire, mais elle est rare dans le commentaire, lequel ronronne donc avec une demie douzaine de verbes et d'adjectifs...
A la rigueur, quand le Figaro dit que Chérèque est "courageux" on rigole, la ficelle est grosse. Ca vaut Libé vantant le caractère "fonceur" de Patrick Drahi, quoi. Mais "réformiste" vs "contestataire" c'est plus sournois, ça fige, ça biaise et ça occulte. Car "réformiste" ça signifie qui accompagne les politiques actuelles, avec des lois dont le moins que l'on puisse dire est qu'elles aggravent les inégalités et renforce la précarité. Si vous regardez la loi El Khomri, ou la loi Macron dans le détail, vous aurez peut être quelques avancées sociales (les travailleurs du Printemps vont vraiment être payés double plus dédommagement pour garde d'enfant) mais la majorité des articles visent surtout à faciliter les licenciements, protéger le secret des affaires, déréguler et détricoter le code du travail pour faciliter les contrats de margoulins, à horaires flexibles, moins protégés. Si vous le présentez ainsi, articles et exemples à l'appui le fameux "réformisme" est tout de suite moins glorieux. Je suis persuadé qu'il y a plein de gens de valeurs, et progressistes, à la CFDT, force est de constater que ces quinze dernières années, leurs dirigeants nationaux, à commencer par le défunt Chérèque, ont systématiquement fait 98 pas vers le MEDEF quand l'organisation patronale faisait les deux derniers... Le "réformisme", ce cache-sexe pour ne pas dire résigné... La CFDT pourrait devenir la 1ère centrale syndicale de France à l'occasion des prochaines élections : il paraît que nous sommes un peuple dépressifs, fort logiquement les salariés inquiets votent un organisme de défense à l'avenant. CQFD.
Quand à "contestataire" c'est encore plus con, pour rester poli. Contestataire sur ces mêmes lois Macron et El Khomri, c'est avant tout une révolte, une envie de protection, une dénonciation de régressions sociales. A côté de cette colère, n'importe quel éditorialiste peut en deux clics trouver l'ensemble des contre-propositions de la CGT pour notre économie. Temps de travail, conditions de travail, formation, partage des connaissances et des richesses, les propositions de la CGT sont plus que faciles à trouver. On peut les qualifier de "trop chères", "non adaptées à toutes les entreprises" ou que sais-je, mais au moins reconnaître leur existence. "Contestataire" c'est résumer le monde aux petites lois, avec le même petit scope idéologique des néos libéraux, tout ce qui en dépasse, tout ce qui propose des alternatives, c'est "contestataire". Tout ce qui l'accepte, c'est "réformiste". Bah avec ça...
Pour combattre l'emprise néolibérale, il faut rapidement se réarmer en vocabulaire qualifié et ça implique d'avoir plus que ces deux mots... Espérons que le Père Nöel aura apporté des dictionnaires aux éditorialistes, c'est un peu notre dernier espoir. Ouais, on en est là...
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