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14/02/2017

Violences apparentes et cachées de la campagne

violence.jpgHier, je regardais un portrait de Jean-Luc Mélenchon où une amie était interviewée. Les commentateurs (mais pas elle, heureusement) mettaient en avant le côté "peu commode" et même "violent" de Mélenchon. Le mot revient à plusieurs reprises chez Cambadélis. Jusqu'à preuve du contraire, Mélenchon a un casier judiciaire vierge et n'a même jamais été mis en cause dans des histoires de magouilles de mutuelles étudiantes (ce, à l'attention dudit Cambadélis qui n'a pas toujours été la haute figure morale qu'il est aujourd'hui et qui ajoute 400 000 votants dans une nuit de primaire par souci de restaurer la crédibilité du parti dont il a la charge...). Non, la violence évoquée par ses adversaires est uniquement verbale. Tout le reste est supputation, mais de sous entendus en raccourcis sur des admirations de Mélenchon pour des leaders autoritaires, on en fait un égorgeur en puissance. Le temps de devoir démonter un à un les clichés sans fondement, nombre de soutiens de gauche sont partis chez Hamon, l'apôtre de la révolution tranquillou... Parce qu'Hamon a cet avantage, il n'est pas violent. Comme Macron, comme Fillon, l'important c'est de ne pas être violent, pas comme les vilains "extrêmes". On voudrait juste montrer, textes à l'appui, que le programme de la France Insoumise est très clairement d'inspiration sociale-démocrate avec un peu de planification écologique en plus, mais c'est inaudible, les contempteurs hurlent que le programme est "extrême" et "violent" avec une virulence qui vaut convocation chez un analyste... 

Au fond, nous n'avons guère avancé et c'est logique, depuis l'épisode dit "de la chemise du DRH d'Air France" où les médias avaient commencé par hurlé au déferlement de violence de la foule qui était "prête à lyncher un homme" (lequel, jusqu'à preuve du contraire, à un peu transpiré, m'enfin, la violence subie est peu comparable à celle du jeune Théo...) et de se demander jusqu'à quand on tolérerait cette infamie française. Dans un monde ultra pacifié, où les faits violents sont toujours liés à un "ailleurs" effrayant, nous tendons à nous bunkeriser, à nous aseptiser. Au lieu de nous interroger sur les raisons de cette violence, nous la repoussons toujours comme inacceptable et liée à une dégénérescence sociale. Dans les émissions de décryptage médiatique, nombre de journalistes reconnaissent ne plus aller dans les quartiers populaires que lorsque quelque chose de grave s'y passe, que ça dégénère. Aussi, la vision construite de ces quartiers 1/n'est guère engageante 2/ édulcore complètement l'aggravation des inégalités face à l'emploi, aux transports, au logement. Problème, si vous dites cela on vous répliquera avec Christophe Guilluy que la situation est pire encore dans la France rurale où la mobilité sociale est moins importante, où l'enclavement est encore plus fort et le chômage de longue durée encore plus inexorable. Ca n'est pas faux, d'ailleurs. Mais ça n'est pas le propos : les malheureux s'opposent entre eux et les dominants s'extirpent du débat.

Ils sont trop occupés à narrer le récit des villes heureuses, où le chômage est faible, la prospérité triomphante, les opportunités immenses. D'où viennent les travailleurs des villes qui ouvrent les magasins très tôt et de plus en plus tard ? Qui gardent les enfants ou leur donnent des cours, les cultivent ? D'où viennent les chauffeurs et les livreurs qui facilitent la vie nocturne des urbains joyeux ? Eu égard à leurs payes respectives, on peut douter qu'ils logent en centre ville, ou alors grâce à un copieux héritage ou un(e) conjoint(e) fortuné(e). Comment être aveugle au point de ne pas voir la violence de cette situation ? Comment ne pas rebondir sur les propos de Manuel Valls évoquant un "apartheid social" en lui demandant si, derrière le bon mot (pensait-il), il comptait faire quelque chose de radical ? Les deux dernières années apportent une réponse que, par pudeur, nous ne commenteront pas...

Cette violence évidente est tue par nombre de commentateurs. Ils préfèrent ne voir de la violence que dans les faits divers tragique. Lesquels occupent trois fois plus de place dans les médias qu'il y a 20 ans. Preuve que nous n'avons pas retenu la leçon de Papy Voise... Déconstruire tout notre rapport à la violence et interroger les violences sociales et écologiques transformerait radicalement le débat et obligerait principalement 2 candidats à s'expliquer : Fillon et Macron. Quand Fillon parle d'allongement de la retraite, on pourrait lui opposer la violence des chômeurs de longue durée qui attendent comme dans un couloir de condamné le jour où ils n'auront plus la honte de chercher un chimérique emploi et que Fillon propose de rallonger cette attente. Et Macron, si on lui demandait de décentrer des éléments de langage du porte-parole d'Uber pour évoquer ces vies brisées, où les chauffeurs sont fers aux pieds pour rembourser la location de leur luxueuse berline, dont la conduite rapporte moitié moins que tenir la caisse d'un supermarché. Ils pâliraient, car ils reprennent les éléments de langage d'Uber, d'Amazon, de Davos sans réfléchir : ils psalmodient un inepte "libérons les énergies pour ramener la croissance" sans réfléchir à l'immense source de violence que cette croissance là, inégalitaire et écologiquement suicidaire, a généré. 

Le récit du débat de la présidentielle n'est pas encore achevé. Il n'est même sans doute pas commencé. Ne désespérons pas, on n'est pas à l'abri d'une bonne surprise et d'un retournement de perspective sur les vraies sources, les vrais facteurs, les vrais acteurs de la violence dans ce pays qui ne sont certainement ceux qui parlent le plus fort.