26/02/2017
Le nombre de fonctionnaires, le nouveau chiffre le plus con...
500 000 fonctionnaires à ma droite aussi pour M. Fillon. J'ai 500 000 fonctionnaires en moins sur le prochain quinquennat. 120 000 à ma droite aussi, pour M. Macron. J'ai 120 000 fonctionnaires en moins. Qui dit mieux ?
Certains chiffres marquent une époque ou, soyons modestes, un moment, politique. Le chiffre mensuel du chômage, par exemple, fut l'emblème du quinquennat finissant. Quelle courbe suivait-il : haussière ou baissière ? On peut moquer les sondeurs et autres observateurs de l'opinion, mais leurs outils ne sont pas moins fiables que ces quelques chiffres observés à la hussarde. On devrait offrir "quand le monde s'est fait nombre" du philosophe Olivier Rey qui rappelle que nous ne savons visualiser des chiffres qu'assez modestes, inférieurs à 10. Le reste relève de la projection mentale, voire de l'incantation.
En outre, toujours se souvenir de la loi de Goodhart, qui fut ministre sous Churchill et a le premier énoncé cette vérité immuable : "lorsqu'une mesure devient une cible, elle cesse d'être une bonne mesure". En somme, si l'on veut "inverser la courbe du chômage", on peut décider que les chômeurs en formation sortent des calculs et hop, hocus pocus, c'est gagné. La martingale, même grossière, ne marche pas à tous les coups. Pensons à Pierre Gattaz qui avait proposé 40 milliards de cadeaux fiscaux contre 1 million d'emplois. Perdu. Enfin pas tout à fait, les 40 milliards ayant été allègrement empoché...
L'étonnant avec ce marchandage d'arrière cours MEDEF/Matignon est que les commentateurs ont glosé pendant des mois sur "les effets du pacte de compétitivité sur l'emploi" et des experts assermentés et d'un sérieux proverbial essayaient de tirer des plans sur la comète et des correspondances entre le montant des avantages fiscaux type "100 000 emplois crées tous les XX milliards d'allègements", et là, il faut admettre qu'on désespère un peu pour plusieurs raisons. D'abord, on ne dit pas quel type d'emplois : de l'intérim, des missions ultra courtes, des CDD contraints, subis, de l'activité pour autoentrepreneurs ou bien des CDI ? Convenez que ça n'est pas exactement pareil... Ensuite, on ne dit pas où ces emplois pourraient être crées. Pas avec précision, mais 1 million d'emplois, quand même, ça doit se voir. S'agit-il de BTP, d'hôtellerie/restauration, du tourisme, de culture, d'agriculture, d'énergie, de nouvelles technologies, de renouveau industriel ? Pas un mot. Enfin, y a-t-il des plans stratégiques accolés à ces montants ? Bernique itou... En somme on a jeté une pièce de 40 milliards en l'air en espérant qu'elle retombe du côté d'un million de chômeurs en moins et on s'étonne qu'un marlou l'est mis dans sa poche...
La planification économique est une affaire sérieuse, les plans de soutiens à des filières entières nécessitent d'avoir une vision de ce que pourrait être l'avenir du pays. Par exemple, les 700 000 emplois crées par la sortie du nucléaire, pour démanteler et assainir les centrales puis passer à d'autres énergies. Ou le million d'emplois agricoles liés à un changement de modèle productif pour sortir des horreurs façon ferme des 1000 vaches. Un plan pluriannuel, des aides ciblées. Tout le contraire de ce que nos chers gribouilles actuels ont fait en sortant un chéquier faramineux (480 millions d'euros) pour un nombre d'emplois faméliques (quelques centaines) avec Alstom à Belfort. Ce genre de décisions de courtes vues, ineptes, ringardisent la logique de planification stratégique de notre économie sans laquelle il n'est pas d'issue possible. Ceux qui vous proposent de travailler uniquement sur la compétivité, baisser les charges, redonner de l'air et autres fadaises sont les mêmes qui ont perdu 40 milliards et proposent de jeter à nouveau une pièce en l'air... Un chiffre débile, en somme.
Le nouveau chiffre débile qui va marquer la campagne est celui du nombre de fonctionnaires. C'est un totem à courte vue. En disant 500 000 fonctionnaires en moins, François Fillon n'a pas la moindre idée de ce dont il parle. Mais il projette sur l'opinion l'idée qu'il est un homme à qui on ne la fait pas. Un vrai. Ces 500 000 suppressions seront-elles compensées par 500 000 emplois fictifs ? Blague à part, la seule volonté de Fillon avec ce chiffre est de passer pour un Thatcher à la française. Et Macron se positionne en fonction : il a attendu 3 mois pour forger son propre chiffre, 120 000. Suffisamment à la baisse pour plaire à la Commission de Bruxelles et aux agences de notations, suffisamment loin de 500 000 pour marquer une différence avec Fillon et ne pas désespérer les réformistes ou progressistes. Et les commentateurs vont ensuite angler tout le débat à l'avenant. Vous aurez le camp du "réalisme", Macron, le camp de "la purge" Fillon et le camp des rêveurs "Mélenchon". A vomir, mais c'est pourtant déjà lancé...
A vomir, surtout, parce que dans le détail, on voit bien les angles morts des propositions des candidats : ils veulent tous recruter des policiers et des juges, voire des douaniers. Renforcer le régalien, en somme. Quand Macron veut diviser par deux le nombre d'élèves en ZEP, soit on en déscolarise la moitié, soit on recrute des profs... En somme leurs baisses doivent intégrer ces hausses et être bien plus prononcées, au final. Mais quid des profs, justement ? Quid des soignants ? Quid des agents EDF, de la SNCF, des agents des impôts, de la sécurité sociale ? Pour des candidats banquiers qui exigent de la clarté au décile près, on ne les voit jamais détailler leurs coupes. Ils avancent des confortables "fonctions supports" dans "les collectivités territoriales", une vision purement dupliquée sur ce qui se passe dans les fusions acquisitions et autres phénomènes de concentration des grosses boîtes où les financiers évoquent toujours "des mutualisations des fonctions supports". Savent-ils ce dont ils parlent ? On peut en douter, les salariés laissés sur le carreau aussi, d'ailleurs. Ils regardent surtout la ligne de marge nette, tout en bas. Le reste est littérature pour eux, et ils n'aiment pas ça.
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