Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04/03/2017

La détestable détestation des abstentionnistes...

210c672b9d6699e8f013b9a4668b3.jpgHier soir, lors de l'émission "du grain à Moudre" sur France Culture, le panel d'invités aux côtés du journaliste Antoine Peillon avaient tous pris fait et cause contre lui. Et pas qu'un peu. Auteur du livre "voter, c'est abdiquer" (ed Don Quichotte) ce spécialiste de la fraude fiscale et des liens entre classe politique et argent sale à été littéralement agressé par les trois autres intervenants. Sylvain Bourmeau était gentiment dans la contradiction, mais Anastasia Colossimo et surtout Philippe Manière ont tenu à expliquer qu'il était un irresponsable, un danger pour la démocratie, un idiot utile du fascisme.

Frère de l'ancien ministre de l'éducation nationale Vincent Peillon et compagnon de route de la gauche pendant des décennies, Antoine Peillon expliquait une conversion quasi mystique à l'abstention. Une conversion non violente, mais pour lui définitive et évidente : face à la corruption massive des élus qu'il fréquentait et de leur constance assumée à ne rien changer à leurs pratiques, il lui est apparu évident qu'il ne devait plus voter. Dans un régime où le pluralisme est de façade et les institutions verrouillées pour contraindre à une représentation minimaliste et binaire, l'expression de convictions différentes est vouée à l'échec électoral. D'où son goût pour l'abstention, une abstention choisie, militante, désireuse de dire aux gouvernants de réformer leurs procédures de désignation. L'utopie de Peillon est sans doute d'arriver à ce qui se passe dans le très beau roman de Sarramago "la lucidité" où le parti du vote blanc arrive en tête aux élections. 

C'était donc un plaidoyer pacifique et apaisé auquel les trois autres invités se sont violemment opposé avec une réussite limitée. Et pour cause : l'inanité de leurs arguments a de quoi faire bondir. Ils refusent tous de reconnaître le caractère politisé des abstentionnistes. Pour eux, il s'agit de personnes coupables de désintérêt pour la chose publique. Par extension, ils accordent sans doute un caractère éclairé aux votants. Sauf s'ils votent FN, bien sûr. Et c'est là l'angle mort de leur raisonnement et de leurs analyses oiseuses. En somme, pour eux il faut voter, parce que c'est bien, parce que des gens sont "morts pour ça", mais il vaudrait voir à pas voter n'importer quoi... Les mêmes commentateurs vous expliquent à quelques phrases d'intervalles que Le Pen est un repoussoir, Dupont Aignan ne vaut pas mieux et que de l'autre côté, Hamon est sympathique mais irréaliste, que Mélenchon n'est pas très fréquentable, Poutou vous n'y pensez pas ad nauseam... Ajoutez à cela Manière qui se fend d'un "Nuit Debout, c'est violent", "les ZAD, c'est violent", et d'en conclure qu'en gros il ne faudrait peut être pas leur donner le droit de vote car ils ne servent pas la démocratie... A vomir.

Bien sûr, au second tour d'une présidentielle où nous ferions face à Marine le Pen face à un autre candidat, mécaniquement, les abstentionnistes "feraient le jeu" comme on dit  (mal) du Front National. Mais comment pouvons nous ne pas voir que derrière ce chantage dégueulasse au vote et au vote utile, on nie l'essence même de la démocratie, du libre choix des électeurs ? Comment ose-t-on faire porter le chapeau aux abstentionnistes de l'émergence du populisme ? En 2002, beaucoup d'abstention et Jean-Marie le Pen au second tour, certes. Mais Jean-Marie le Pen a 4,8 millions d'électeurs. Le problème 15 ans plus tard n'est pas tant que nombre de personnes qui pensent à aller à la pêche le 7 mai que la fille de Jean-Marie s'apprête à réunir près de 10 millions de votants. Près du double.

A force de nous expliquer en long en large et en travers qu'il faut voter, à condition de voter entre centre gauche et droite, on fabrique une abstention militante, tonique, une abstention de ceux qui se prennent par la main et font beaucoup, au quotidien. Ceux qui conspuent les abstentionnistes leur parlent-ils vraiment ? Et surtout, sont-ils déjà allé sonder des électeurs "de base", des militants de base qui vont aux meetings pour l'ambiance et ne connaissent rien des programmes de leurs champions. C'est étonnant, de parer l'électeur de vertus insoupçonnées... Une majorité d'électeurs votent en creux, votent contre un candidat, ou pour une attitude, une posture. A contrario, nombre d'abstentionnistes murissent leur décision de non vote pour des raisons idéologiques et politiques de non représentations de leurs idées et idéaux. C'est sans doute irritant, mais ça mérite plutôt une forme de respect pour leurs convictions et sans doute une beaucoup plus grande écoute de la part des élus qui continuent de traiter ces millions de voix par le mépris. Une attitude proprement détestable.