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13/04/2017

Gauche de contestation et de gouvernement : le grand chambardement

imgres.jpgDeux gauches, c'est déjà beaucoup, surtout quand elles sont irréconciliables, mais alors trois... Dans toutes les élections présidentielles, on trouve deux types de gauche : l'une dite "radicale" qui vient soit témoigner pour ses idées (LO, NPA) sans se soucier du score finale soit au contraire faire le plus gros score (PCF, parfois EELV) pour négocier des sièges par la suite, à l'Assemblée ou au gouvernement. Pour qu'il y ait Assemblée ou gouvernement, l'autre gauche est donc celle dite "de gouvernement" et tourne en gros autour du PS. 2017 est de ce point de vue parfaitement inédit puisque la gauche est divisée en trois, avec deux gauches dans des dynamiques de gouvernement et une de témoignage. Ce qui pousse à des manoeuvres inédites de toutes parts. Et explique que les plus fortes tensions de la campagne, hormis ce qui se passe avec les médias, soient entre supporters de Mélenchon, de Hamon et de Macron... On peut le déplorer, mais c'est sans doute inéluctable jusqu'au premier tour. 

Ce d'autant que les réseaux sociaux amplifient cette impression de nervosité. Pour des raisons d'homogéneité de profils 1000 fois montré, de "bulles", les électeurs de l'un des 3 candidats de gauche ont très majoritairement des infos sur les deux autres, infos qui les crispent et auxquelles ils répondent vivement (l'auteur de ces lignes inclus et sans doute davantage que les autres. Mea culpa...). Tous les trois pourraient se mettre d'accord pour conspuer Marine le Pen, mais hormis ses horreurs sur le Vel d'Hiv, elle vient rarement hanter leur time line... Tous pourraient pourrir l'archi corrompu incroyablement requinqué, François Fillon, mais plus rien ne le touche alors nous regardons ailleurs, vers nous. Et nous voici englués dans une guerre plus restreinte que celle qui menace la démocratie mais c'est, littéralement, la seule que nous voyons toute la journée...

D'abord, du côté des sympathisants PS classique, ceux qui ont voté Hollande au 1er tour, en 2012. 28% tout de même, à se répartir puisqu'il n'est pas candidat. Ceux qui pensent que le quinquennat est allé trop à droite et veulent vraiment une ligne claire à gauche font le choix de Mélenchon et se sentent galvanisés depuis qu'en fin de semaine dernière, une possibilité de victoire s'ouvre. A quoi ressemblerait l'assemblée nationale qui suivrait son élection ? Mystère. Ceux qui sont mécontents du quinquennat (il reste 4% de satisfaits, donc comptons sans) mais qui veulent rappeler qu'il y a une différence entre Hollande et Sarkozy et donc entre Macron et Fillon, rejoignent En Marche. Du coup, coupé sur ses deux ailes, ne négociant pas d'accord, Hamon avance et finit sa campagne dans une attitude, quasi christique, où son courage exaspère ceux qui l'enjoignent de lâcher l'affaire pour Mélenchon. Mais il ne veut pas, il pense au PS, aux législatives à venir six semaines après. Ce, même si En Marche a dealé avec nombre de socialistes de l'aile droite. Tant pis, il veut rester digne.

Le drame d'Hamon c'est qu'il apparaît comme une candidature de témoignage, quelque chose de sympathique mais sans aucune chance de jouer la gagne. Ce, alors même que c'est précisément parce que son programme est en rupture avec le PS qu'il a gagné la primaire. Pour sa révolution verte, énergétique comme agricole. Sa révolution fiscale, de la taxe robots au revenu universel. Il a tout sur le programme, tout dans les soutiens. MAIS, il est PS. Il n'a pas rompu. La suspicion de dérive droitière fut trop forte pour l'opinion. Et il est moins tribun que Mélenchon, lors du débat à 5, la comparaison fut cruelle pour Hamon. Il y a une part d'injustice, mais les électeurs suivent des dynamiques et entre les deux, elle est irrémédiablement chez Mélenchon. Ceux qui continuent à voter Hamon savent qu'il ne sera pas au second tour, mais veulent témoigner que c'est dans cette direction programmatique qu'il faut continuer. Cruelle ironie, pour une fois que le PS présente un candidat dont le programme est en phase avec les aspirations de ceux plus à gauche, ils choisissent une autre casaque.

Côté En Marche, ce fut simple et ça se complique. Simple parce qu'à 10%, personne ne lui accordait trop d'attention et de toutes façons, Macron n'est pas aimé à gauche : il n'a pas sa carte au PS, refuse de dire qu'il est uniquement de gauche (l'équivalent du blasphème) et fait campagne à droite, entre soutiens du MEDEF et propositions sécuritaires pour muscler son image. Problème : pour la droite, il est de gauche. Or, le pays penche électoralement plutôt là-bas, aussi pour gagner Macron doit élargir sa base des deux côtés. LR et FN pilonne l'ouverture sociétal du candidat. "Pro gay" (nonobstant ses appels à la compassion pour la Manif pour Tous) "communautariste et pro immigration" (malgré le fait que son programme montre clairement une continuité dans la limitation des entrées sur le territoire), Macron est considérée comme une bête noire irresponsable, communautariste et complaisant. Et son discours social risque de l'empêcher d'avoir les voix de gauche qui lui sont indispensables pour aller au second tour. Il est toujours favori, et représente un paradoxe : il est l'héritier désigné d'un quinquennat de gauche de gouvernement et donc le choix de tous les électeurs qui ne veulent pas de la droite dure. Ceux pour qui Fillon est un épouvantail. Double problème. Un ça permet à cette droite là de dire que Macron n'est pas comme eux, qu'il n'est qu'un demi-libéral et de taper dessus. Deux, après cinq ans d'un tournant sans cesse plus à droite, nombre d'électeurs de gauche n'ont plus du tout peur de Fillon. De Le Pen, oui. Mais de Fillon, non. Donc le vote utile sera faible. Peut être suffisant, mais très faible.

Enfin Mélenchon. La dynamique de la campagne. Trop forte et trop grosse pour être honnête. Trop rapide pour ne compter que des afficionados du programme. Des déçus de la politique, du PS et apparemment d'une droite corrompue voire du FN, l'agglomérat de néos insoumis est pour le moins composite. Ca sera le premier premier souci : conserver jusqu'au bout des électeurs ralliés pas uniquement pour la révolution fiscale et écologique, mais aussi pour des questions de souveraineté. Second problème, depuis que Mélenchon titille les 20% les éditorialistes ont lu son programme et hurlent désormais que ça serait une catastrophe nucléaire s'il était élu. Est-ce vraiment un handicap ? Pas certain tant la palinodie est grotesque. Hier encore, tous louaient le tribunicien, "le seul homme d'Etat de ces débats", celui doté d'une vision. Le lendemain il serait l'héritier de Pol Pot ? Curieux, mais il est vrai que pendant 10 jours, tous les responsables de la France Insoumise devront s'expliquer chaque jour sur Chavez, Castro ou la Syrie. Je serai très prudent sur l'influence de ces attaques. Comme pour celles qui concernent son programme économique : pour ceux qui ont des biens (bons jobs, avoirs financiers ou immobiliers) à perdre, Mélenchon effraie, mais 12 millions de français n'ont rien à perdre donc les considérations sur la dette...

En revanche, dans une élection qui va se jouer à peu, un autre handicap pourrait empêcher Mélenchon d'accéder au second tour : le fait que nombre de ses électeurs refusent de gouverner et préfère se cantonner à leur historique vote protestataire. Meilleure illustration de cette reconfiguration, le vote Poutou. Oui, oui. Passé de 0,5% à 2,5% dans les sondages suite à son coup d'éclat contre Fillon dans le débat à 11, le candidat du NPA informe toujours la gauche contestataire, sauf qu'elle conteste Mélenchon en plus de Macron. Le reliquat de l'esprit contestataire de mai 68, une forme de gauche intellectuelle, désirant avoir raison avec Sartre plutôt que tort avec Aron et qui, dans la même logique, préférera s'éviter d'avoir à constater la potentielle non réussite de Mélenchon. 

Au final, c'est sans doute cela qui fera la différence : dans le secret de l'isoloir, il y aura ceux qui veulent voter pour exprimer des idées et qui auront le choix entre un Poutou et un Hamon, et pour ceux qui veulent gouverner, un programme Mélenchon qui aura été présenté comme dangereux ou un programme de Macron, présenté comme le chant du cygne pour la gauche au gouvernement, au profit d'une force "moins à droite". Plus que 10 jours...