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30/05/2017

Vies maquillées, réalité abîmée

set-maquillage.png"Ce workaholic travaille dix huit heures par jour, en dort cinq et en consacre une au sport". Ce petit cliché minable de vie de dirigeant, ramassis de toutes les figures imposées du winner performant - ne pas dormir, le corps saillant, toujours en éveil - pourrait être extraite de n'importe quelle sous feuille mercatique. Une auto-présentation d'un start-upper spécialisé dans la livraison de nourriture pour chats, une brochure des anciens d'élèves d'une école de commerce de seconde zone, une voix off d'un reportage télé... Tous ces supports se copient pour dégueuler des portraits conformes, ineptes, voire débiles, au sens littéral du terme. Le souci est que cette phrase, je l'ai piquée dans le quotidien dit de référence - le Monde- à propos d'Arthur Sadoun, nouveau PDG du géant mondial de la publicité, Publicis. 

Les deux parties sont responsables, coupables même. Sadoun, parce que racontant cela, il conforte le mythe du surhomme dirigeant. Dans la doxa moderne, il faut donner 100%, ne jamais s'arrêter, être prêt à tout pour arriver au sommet et avec le corps vaillant. Incroyable comme les grands hommes ne dorment jamais ! César, Napoléon, Jacques Attali, Emmanuel Macron et donc Arthur Sadoun ont la chance de ne dormir que cinq heures par jour et tout le reste de leur temps, il le consacre à leur grand oeuvre. Forcément, ça élimine la concurrence : qui, parmi l'armée de sybarites amateurs de canapés, de siestes et de déjeuners à rallonge peut prétendre à soutenir un tel rythme ? Personne. Bah voilà. Sadoun le sait, donc il le rabâche. Avec une mauvaise foi consommée car, s'il était interviewé par Elle, ou un magazine plus intimiste, une télé axant sur "la vie des grands fauves" il nous dirait sans doute à quel point l'éducation est fondamentale pour lui, qu'il emmène ses enfants à l'école dès que possible et qu'ils lui récitent leurs devoirs sous ses yeux embués de papa poule... Tartuffe.

Pour que Tartuffe triomphe, il faut que crédule gazetier reprenne sa vie sans la mettre en doute. Or, le Monde reprend ses propos sans rire, sans ironie. Au contraire, il les glorifie, comme il l'a fait pour tous les patrons croqués dans cette rubrique. Pareils, interchangeables, clonés et botoxés, tous ridicules de fatuité triomphante, tous pris dans une course à la surenchère de la gagne. Bientôt, certains dirigeants travailleront 25heures par jour, avec le décalage horaire, toujours en jet privé, volant pour remonter le temps et maximiser les profits... Continuer à faire de ces vies déplorables des modèles ne grandit personne. Le propriétaire du Monde (et de l'Obs, des Inrocks et de tant d'autres...), Mathieu Pigasse disait la même chose de lui-même : il bosse tout le temps et "déteste aller au restaurant, un truc de bourgeois". Relisons cette phrase et méditons là : le type dont les fringues quotidiennes coûtent plus cher que le budget alimentation annuelle d'une famille de quatre personnes, se permet de dénigrer un des plaisirs les plus fondamentaux de l'existence. Que ce jocrisse n'aime pas bouffer, fort aise, mais ça n'est pas une raison pour reprendre des termes aussi cons en essayant de les glorifier pour en faire la marque d'un homme dédié à son entreprise...

Dans un monde malade du calcul, on ne peut, hélas, calculer, le coût négatif de ces vies maquillées : combien de stress généralisé, de complexes renforcés, combien d'auto-censure généralisée, combien d'entreprises louables empêchées, combien d'initiatives bridées dans les boîtes susnommées où les salariés ne travaillant "que" 8 heures par jour n'osent pas déranger leur suractifs leaders ? Combien de croissance inutile et destructrice crées par ces chefs en tocs ? On ne peut, hélas, pas le mesurer, mais le total serait faramineux car l'immense majorité de ces fortunes crées ne servent qu'à alimenter de la spéculation mortifère. Quel dirigeant oserait affirmer la seule maxime viable pour la planète et l'humanité : produire moins, répartir mieux. Vous mettez, derrière cela non seulement les richesses, mais aussi le temps, les hommes, les ressources et voilà qui serait grand comme programme.

Un ami fondateur d'une très grande ONG engagée dans la lutte contre les inégalités scolaires a crée un programme intitulé "different leaders". Il part du principe que si son travail permettait d'avoir une élite dirigeante plus conforme à la diversité du pays sur le papier, mais identique à l'élite actuelle dans les pratiques, il aura raté sa cible. D'où sa volonté de développer des programmes poussant ces jeunes à l'introspection pour être des dirigeants altruistes et ouverts à toutes les différences. Sans fard ni artifices. Je vote pour.