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22/02/2018

Comment marketer la décence ?

Il faisait froid, ce sont les vacances scolaires, l'appel fut peu relayé, la loi passera de toutes façons... La litanie des bonnes excuses pour ne pas être à la manifestation de soutien aux migrants, hier, étaient légion (et pas seulement étrangère). Il n'empêche, après une année 2017 marquée par une hausse de 29% des expulsions et un texte de loi qui entend encore durcir très largement les conditions d'accueil (avec un triplement de la durée de détention en centre de rétention, de 45 à 135 jours) nous aurions dû être une marée humaine à manifester notre opposition à un projet de loi infâme. Et pourtant nous étions quelques centaines, un millier tout au plus, à nous époumoner contre Gérard Collomb et Emmanuel Macron. Quelle gifle, quelle éclatante victoire pour une politique sécuritaire digne de l'extrême droite, grimée en progressiste.

Il faudra qu'on fasse le bilan, sans concession, de notre nullité collective. Pourquoi personne ne répond à nos appels ? Pourquoi si peu de monde pour soutenir ceux qui sont démunis à tous égard ? Dans le cortège, les slogans qui berçaient déjà mon enfance (tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des parents communistes, mon enfance fut jalonnée de manifs) "so so solidarité, avec les sans papiers" auxquels s'ajoutaient des vociférations dans un anglais approximatif (pour faire chic ?) sur le thème "no borders"... Alors que le cortège remontait la rue Saint André des Arts puis la rue Jacob, un mélange d'accablement et d'exaspération montait en moi. 15 à 20 000 euros le m2 dans ces rues et l'étrange impression de déranger l'happy hour des riverains avec nos revendications, accueillies aussi fraîchement que l'air. Plus tôt dans la journée, le comptage de la nuit de la Solidarité avait fait état de 3 624 personnes dormant dehors, à Paris. Un chiffre trop élevé pour compter les "seuls" SDF, un grand nombre de migrants dorment dehors dans cette vague de froid. Le matin j'étais parti courir le long du Canal et j'avais vu la triste étendue des tentes... Vertigineux contraste entre la ville la plus riche d'Europe (avec Londres), incapable de réquisitionner quelques immeubles pour mettre à l'abri ceux qui fuient la misère et la guerre. 

A peine un millier, donc, hier pour réclamer à ce que notre devise républicaine soit appliquée. De la liberté, il y en a trop quand il y a celle d'expulser et de ne pas accueillir, l'égalité est en berne et la fraternité aux abonnés absents. Voilà ce sur quoi nous n'arrivons pas à mobiliser : la décence, l'humanité sans concession. Lors du quinquennat précédent, 2 millions de personnes ont convergé dans les rues pour s'opposer à l'égalité des droits entre homosexuels et hétéros. Des centaines d'élus étaient descendus battre le pavé, ceints de leurs ceintures tricolores. Hier, j'ai vu la sénatrice Esther Benbassa et deux trois inconnues apporter un soutien feutré et gêné d'une assemblée si clairsemée. Demain, le mouvement appelle à manifester place de la République. C'est David sans fronde qui défie Goliath. La gigantesque place résonnera bien creux. Sale temps pour la décence.