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27/05/2018

Marée des villes, marées des champs...

Le tsunami n'a pas eu lieu. Ni même une vague forte. Je ne débats pas des chiffres du cabinet Occurence, nouvel oracle pour tous les médias (une vingtaine) qui ont opportunément décidés d'en faire leur partenaire privilégié pour le comptage des manifestants. Ils sont systématiquement en dessous de ce que donne la préfecture de police et les commentateurs s'appuyant là dessus, forcément, ça pose une base d'analyse peu favorable aux manifestants. A l'aune de trente ans de manifs, je me gausse du chiffrage parisien par Occurence, hier. Ne soyons pas mauvais joueurs pour autant, les 250 000 revendiqués par la CGT n'y étaient pas. Vraiment pas.

En rentrant de la manif, je traversais la France par Facebook interposé et je découvrais, toutes proportions gardées, une marée forte à Limoges. Dans le Tarn, le Lot et nombre de départements où la crainte de disparition de petites lignes SNCF se fait sentir, la mobilisation était forte. 1 200 personnes à Lyon, 2ème ville de France, en revanche... A Bordeaux, la seule marée était celle de l'Atlantique. Et c'est ce moment où tu te rappelles que la sociologie électorale fait de la résistance. Il y a un an, Macron était élu par un ras de marée urbain et rencontrait une opposition très forte à mesure que la densité au km2 se fait moins forte. Un sondeur (je les confonds...) a même exhumé un graphique montrant que Macron affiche des scores très forts auprès des électeurs vivant là où il y a une gare SNCF, un peu moins forts quand ils vivent à plus de 5 km de la gare et est minoritaire dans la France des champs, à plus de 20 km de la première gare... C'était il y a un an seulement et il n'y a que chez Joe Dassin que cela fait une éternité. Il n'y aura pas d'été indien de la marée populaire et de la contestation. Il y aura un été comme les précédents avec la moitié de la France qui goûte les congés payés pour visiter le pays ou le vaste monde et la moitié qui ne peut se payer des vacances. Le chiffre de non partants est en légère augmentation chaque année, notamment à cause de la fin des mécanismes solidaires de congés. Les colonies de vacances subventionnées par des syndicats et des grandes entreprises ont de moins en moins de moyens, idem pour les fédérations d'éducations populaires. Ca craquelle, ça s'effrite, ça ne tombe pas d'un coup. 

Hier, j'ai dîné avec une dizaine de personnes qui ne comptent pas parmi les thuriféraires du régime. Un avocat du droit du travail qui voit son activité mise en lambeau par les ordonnances travail de l'an passé, un prof d'histoire qui voit tous ses élèves (littéralement tous) de terminale en détresse face à Parcoursup qui ne leur propose rien... Tous avaient des raisons d'aller manifester, ils m'ont tous questionné sur l'ambiance à la manif, d'ailleurs. Mais ils avaient aussi, apparement, de meilleures raisons de ne pas y aller. Ils soupirent, ils pestent, ils critiquent, mais ne s'opposent pas. Et je les comprends. Car ça manquait d'allant, hier, ça manquait d'un but commun. Des sweats boycott Israël dont on se demandait bien ce qu'ils foutaient là. Des nostalgiques de la Zad de Notre Dame des Landes ; le collectif Adama en tête de cortège pour dire que les quartiers populaires ne remercient pas l'enterrement de seconde classe du Plan Boorlo ; chacun y allait de sa petite boutique, de sa petite revendication particulière. Les éhontés de la CSG chassaient les parents peinés par Parcoursup (les rejetons pourtant concernés étaient peu nombreux...) qui eux mêmes couraient après les cheminots. Le problème de la convergence des luttes, c'est le chemin : vers ou veut-on converger ? 

L'autre problème c'est qu'à force de répéter en boucle que la contestation "monte en puissance", que "la marmite bout et que le peuple est à bout", certains se sont convaincus de leur prophétie révolutionnaire auto-réalisatrice. Le slogan le plus partagé était une chimère : "Stop Macron". Qui peut croire sincèrement qu'une manif impressionnera un type hermétique à cette culture populaire ? S'il y avait eu 5 millions de personnes, peut être, mais quelques centaines de milliers, oublions. Et c'est bien le drame. Car les réformes (SNCF, ORE...) sont passées à l'Assemblée et la grève générale n'a pas eu lieu. Quand le gros des syndicats va plier les gaules, fatalement, que vont devenir ces radicalisés de la colère sociale ? Ils hurleront dans le vide car plus aucun journal ne voudra couvrir l'événement, préférant  des sujets comme : "les communautés marocaines, tunisiennes et sénégalaises de France s'enflamment pour leurs champions" à l'occasion du lancement de la coupe du monde de juin. Cette marée là est sûr de prendre. Des millions de français devant leurs télés, dans les bars, devant les écrans géants. Achetant maillots, goodies et bières en promo. C'est écrit.

Hier deux sémillants septuagénaires distribuaient des tracts d'Attac disant "nous sommes 67 millions de la fraude fiscale". C'est tellement vrai. L'argent qui prospère là bas et manque au pays suffirait à faire tourner normalement les hôpitaux en surchauffe et les classes surpeuplées, d'ouvrir les amphis qui nous manquent et de donner à la justice les moyens d'être rendue dignement. Notre projet commun, le partage et la justice était là, évident. La lune. Et tous les idiots foncèrent vers ce doigt qui disait "Stop Macron". Soupir.