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30/06/2018

Poule et oeuf de la haine des migrants

92% des presque 50 000 sondés par lefigaro.fr pensent donc que "comme le dit Emmanuel Macron, les ONG font le jeu des passeurs". Si rien ne change dans notre manière collective de traiter le sujet des migrations de populations fuyant la misère et la guerre, nous aurons peut être 92% des sondés pensant qu'il faut remettre les derniers immigrés en France, sur des bateaux embarquant vers l'autre rive de la Méditerranée. Hier, dans une tribune au Monde, le démographe Hervé le Bras, expliquait que le président "souffle le chaud et le froid sur les migrants, sujet sur lequel il n'a d'opinion que les sondages du même nom". Or, le fait est qu'en se droitisant sans cesse, au point de ne plus reconnaître de tort à l'action de Mateo Salvini, Macron court après la popularité, qu'il rattrape à peine car en l'espèce la surenchère de haine est toujours payante.

Orban fut précurseur avec ces infâmes grillages et sa loi permettant à la police de tirer sur les migrants chercher à pénétrer en Hongrie, avec comme conséquence une chute vertigineuse de l'immigration dans le pays. Il a prouvé, de la pire des manières, mais il a prouvé que l'on pouvait effectivement freiner l'immigration à la condition d'abandonner en même temps toute forme d'humanité. C'est un choix de société. Repris depuis par les polonais, l'administration Trump et de plus en plus de dirigeants. Des dirigeants élus précisément parce qu'ils promettent tous des murs, des herses, des prisons, des renvois, des camps... La surenchère idéologique, le concours Lépine de la déshumanisation peut laisser pantois, mais force est de constater qu'il fonctionne, électoralement.

J'en discutais il y a peu avec un ami libéral conséquent. Conséquente et donc, comme Gattaz, pro immigration. Les vrais libéraux savent bien que les migrants sont toujours capables d'accepter des tâches ingrates et mal payées puisque contrairement à ce que prétend l'extrême droite, les migrants ne bénéficient d'aucune aide, d'aucun logement et s'ils veulent survivre, il faut bien travailler à tout prix, sans penser aux contraintes des 35h, sans regarder le SMIC horaire et autres acquis sociaux chimériques pour eux. Cet ami libéral se félicitait que Macron instaurât une flat tax, mais déplorait l'attitude migratoire. Ancien de l'UMP, il constatait le glissement de nombre de ses amis sur ces sujets en dépit de toute rationalité chiffrée. Il y a aujourd'hui beaucoup moins de migrants en Europe qu'en 2015. L'attitude de fermeture des européens a ses raisons que la raison ignore. Mais dans la poule et l'oeuf de cette nouvelle haine, mon ami libéral penchait pour l'oeuf médiatique. Des images cataclysmiques de radeaux de la Méduse, en continu. Sans explication, sans dire d'où ils viennent, surtout pourquoi ils viennent : ce que ces personnes ont fui, ce qu'elles viennent trouver, ce qu'elles offrent. Non, juste des images apocalyptiques de gigantesques bateaux accostant chaque matin dans les cuisines des foyers français.  

Si une image valait 1000 mots, elle en vaut 100 000 à l'heure des réseaux sociaux où l'on partage beaucoup de hoax sur les "privilèges" des migrants et fort peu des livres (pourtant court...) comme "sidérer, considérer" de Marielle Macé, rappelant fort opportunément qu'il faut dépasser la sidération médiatique et considérer humainement celui qui arrive. Le rapport de force est terrible en l'espèce. La justesse d'une Une de Libé ou de Society clamant "humain comme vous" sous un migrant retenu par une bouée de sauvetage ne peuvent pas grand chose face au déversements d'images de canots surpeuplés, sur les chaînes en continu. Lesquelles apportent ainsi un gigantesque brasier idéologique sur lequel de plus de plus de responsables politiques soufflent à qui pire pire. Comme pour la poule et l'oeuf, chacun se renvoi la paternité du problème : les politiques disent se faire l'écho d'un problème de société qui animent les médias, lesquels disent mettre le sujet à l'agenda car cela occupe les politiques. Ni les uns, ni les autres, ne pensent plus à emprunter un registre non émotionnel, ni de compassion, pour envisager d'autres possibles. Il y a 20 ans, Jospin en France, Prodi en Italie et d'autres avaient massivement naturalisé des dizaines voire centaines de milliers de personnes (Roberto Saviano oppose cela à Salvini en parlant de 200 000 naturalisation d'un coup, mais je n'ai pas retrouvé la source). Il y a 30 ans, l'Europe et la France en premier lieu, accueilli des centaines de milliers de boat people sans se poser de questions. On pourrait, on devrait le refaire aujourd'hui. Cela ferait moins d'audience, sans doute. Cela provoquerait l'ire et la consternation des plus énervés, sans doute aussi. Mais cela aurait le mérite d'apaiser le prurit identitaire. Car l'alpha et l'omega de nos crispations sur le sujet ne sont que cela : des turpitudes identitaires. Humainement, nous valons mieux que ça.