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29/07/2018

Démocratie de perlimpinpin

Pour une époque qui révère l'innovation, qui voue un culte à la disruption et encense les "changements de paradigme", force est de constater que la vie politique est la grande absente de ce ruissellement de progrès. Pensons au foisonnement de nouvelles gouvernances dans les entreprises, les ONG, les entreprises sociales. De l'holacratie à l'entreprise libérée, des SCOP nouvelle génération au B Corp, mille nouvelles manières de décider ensemble, d'avoir de nouvelles manières de décider du chemin à prendre. La recherche aussi progresse, avec des nouvelles interdisciplinarités qui viennent tous les jours, des nouvelles manières de chercher. 

Tout le monde progresse, sauf la politique, dans son acception électorale et nationale. Au niveau local, des expériences de démocratie liquide, de démocratie permanente, de renversement de chefs, s'opèrent. Ca donne du baume au coeur, mais les décisions prises à Saillans et autres bourgades n'ont pas la portée nécessaire pour nous préserver des dérèglements climatiques absolues, pour mettre fin à la montée des inégalités, prévenir la corruption ou la prolifération de mouvements fanatiques et terroristes. Pour tout cela, des décisions nationales et supranationales progressent peu. Pas un immobilisme total, mais des progrès si lents. David Van Reybrouck rappelle qu'il a fallu les deux guerres mondiales pour que l'humanité se dote d'outils de décisions de prévention des conflits alors qu'on pressentait le drame avant. Nombre de voix des années 30 intiment à la création de l'ONU, mais il faudra l'horreur de la seconde guerre pour que cela vienne. On peut, on doit, pester contre les limites de l'ONU qui n'a pas pu empêcher les massacres en Syrie récents ou qui a cautionné l'inique invasion d'Irak, mais globalement ce gros méchant nous a sans doute préservé du déclenchement de la 3ème...

Pour le reste, à un niveau national, quelle faiblesse. Malgré la présence d'une foultitude d'initiatives. L'activiste argentine Pia Mancini, dans une conférence célèbre disait qu'à l'heure d'Internet, les méthodes employées par les politiques n'étaient pas très éloignées de celles du Moyen-Âge. Un chef, un cri de meute et on suit le chef. Games of Throne / Vème République, match nul sur les méthodes mais plus de rebondissements dans GOT.  

Le recours à un hologramme n'est pas une innovation. Une innovation serait une manière de permettre aux élus de voter en conscience, de voter en consultant la base de personnes qui l'ont élu plutôt que le chef de leur parti, quelques représentants ou lobbys, voire un ministre, toutes personnes respectables, mais non élues... Les idées existent, les mouvements aussi. L'an passé, pour les élections législatives, #Mavoix avait proposé cela : des candidats tirés au sort pour ne pas encourager les carriéristes, et un engagement une fois élu à consulter tous votants sur les lois à venir. Ceci pour faire en sorte que lorsque des textes de lois sortent d'un programme présidentiel comme c'est toujours le cas, on laisse le choix aux électeurs. On fait de la démocratie en continu, pas une fois tous les cinq ans.

Ces nouvelles techniques n'ont rien de marginales, d'anecdotiques, c'est véritablement essentiel de pouvoir discuter de tous les projets de loi. L'idée n'est pas de permettre à n'importe qui de voter n'importe quoi de façon aléatoire, on ne demande pas la fin de familles de pensées. Que les libéraux se rejoignent, votent ensemble un certain nombre de textes correspondant à leur conception du monde, soit. Mais quand quelques textes vont à l'encontre de ce en quoi ils croient, ils ne devraient jamais être entravés par une discipline de parti. De ce point de vue, la loi asile et immigration votée cette semaine est contraire aux convictions de nombre de marcheurs. 

L'année dernière, j'avais longuement échangé avec Aina Kuric. Elle se définissait comme sociale libérale dont on se demande, sans majuscule à Sociale. Une pure macroniste, exaltée par l'idée que les baisses de charges allaient ramener le progrès et la prospérité sur le pays. Une bonne soldate, qui faisait l'apologie du nouveau régime depuis sa Marne riche de champagne et de mondialisation heureuse. Pour avoir voté contre la loi Collomb, elle est en passe d'être exclu. Une femme qui partage 99% des convictions du parti présidentiel est en passe d'être exclue pour un vote contraire. On peut se moquer des régimes autoritaires, mais les pratiques ne déparent en rien. Se gorger de grands concepts, de liberté et de démocratie ne trompe personne. Les collectifs se répandent partout, dans les usages, dans les pratiques. Partout, sauf en politique. Hélas, il nous faut nous contenter d'une démocratie de perlimpinpin. 

26/07/2018

La maison brûle et pas de pompier volontaire

Perdus dans le flot des révélations et autres scoops sur l'affaire Benalla, Jean Jouzel et consorts tentent d'avoir des propos mesurés, réalistes et marquants pour éviter le piège de discussion confondant météo et climat. Le principal problème en matière d'écologie politique est de trouver un discours n'appelant pas à l'inaction. Soit par cause de relativisme : bof, la science et l'intelligence humaine ont toujours trouvé des solutions, on trouvera un moyen de refroidir. Avec la géo ingénierie, on peut modifier l'orientation de la planète et ainsi dévier les rayons solaires des points trop chaud et autres recettes d'apprentis sorciers... Soit par collapsologie : puisque c'est foutu, alors faisons gaiement des tours de périph' en cramant du kérosène et mangeons des bananes pré découpées et vendues dans une barquette plastique, on sauvera pas la planète de toutes façons. 

Jouzel n'est ni dans l'un, ni dans l'autre. Pourtant, il est très alarmiste et redoute que les dix dernières années ne montrent qu'il ne soit plus que délicat d'inverser la tendance. Les incendies en Grèce sont d'une violence inouïe, plusieurs dizaines de morts. Les incendies en Suède, en Suède ! Ceci et la multiplication des cyclones, ouragans, inondations, sont sans doute le lot des années à venir, avec une gradation folle. Doit-on attendre des milliers de morts en Grèce, une Suède noyée par la fonte des glaces pour que les climato sceptiques disparaissent vraiment et que certains dirigeants politiques contraignent violemment toutes les industries ? 

La Chine montre bien que face à une situation dramatique, des mesures radicales (mais pour l'heure insuffisantes) peuvent émerger du jour au lendemain politiquement. Insuffisantes car affolée par des indicateurs de croissance classique, la Chine continue de redoubler d'efforts pour extraire des terres rares pour Apple et autres géants techs, nonobstant le fait que lesdites extractions ont pollué plus de la moitié des cours d'eau du pays. 

Ce que je ne comprends littéralement pas, c'est pourquoi aucun responsable politique, surtout les jeunes, n'arrivent pas avec un discours type "le réchauffement climatique, ça n'est pas ma faute, mais c'est ma responsabilité". Ceux qui ont derrière eux 6 ou 7 mandats d'inaction en matière environnementale, sont évidemment tricards, mais ceux qui arrivent avec des habits neufs ? Les marcheurs ? Il faut évidemment faire sauter les verrous idéologiques sur marché libre vs normes, libre échange contre protection de la planète. Mais les marcheurs ont des enfants, eux mêmes souhaitent sans doute vivre un monde soutenable hors du charme bourgeois de l'air conditionné ? Il faut croire que non. Sinon, ils se seraient rebellés contre le glyphosate, contre le retour de l'usine d'huile de palme produite par Total dans le sud, ils se seraient opposés aux coupes pour l'agriculture bio et le business continu pour l'agro business. Ils auraient hurlé contre la loi ELAN qui va saccager la loi Littoral et sera donc directement responsable de futurs innondations, de futurs drame du bétonnage... Mais non, la maison brûle et il n'y a pas de pompier volontaires. 

Sting chantait jadis qu'il espérait que les russes aiment aussi suffisamment leurs enfants pour ne pas faire péter la planète avec la bombe atomique. Trente trois ans plus tard, même si quelques frayeurs sont toujours là, les responsables politiques du monde entier, même nord coréens, aiment suffisamment les enfants pour leur éviter une fin immédiate dans un grand nuage. Mais pas assez pour vouloir leur éviter une mort à l'étouffée. 

23/07/2018

Affaire de l'État plus qu'affaire d'État

En termes de violence en marge de manifestations, la mort d'Adama Traoré n'a pas débouché sur une commission parlementaire pour le ministre de l'intérieur. Quelques coups donnés par une petite frappe, si. Quand on regarde les faits reprochés sur l'ensemble du film depuis le 1er mai, il n'y a pas de quoi alimenter la page 12 des faits divers d'une feuille de gazette. En revanche, en considérant l'ensemble des dysfonctionnements, des bourdes, des erreurs, des bévues et autres boulettes par les huiles de l'intérieur et de l'Elysée, là il y a matière à nourrir la presse... Affaire de l'État oui, affaire d'État, non.

Des personnages de basses oeuvres, ayant accès à des privilèges matériels et symboliques en contrepartie de petits coups de mains, c'est consubstantiel à la politique. Alexandre Benalla est un boy scout à côté de François de Grossouvre, ordonnateur des missions très spéciales et hors agenda de François Mitterrand. L'affaire Benalla, c'est la rencontre de vieilles pratiques et de nouvelles technos. Le problème c'est qu'on a le film. Les images. La force émotionnelle de toutes les images (la manif, le vélo avec Macron, le bus de l'équipe de France de foot) balaye la raison des faits. Toutes preuves imagées et filmées dont on ne disposaient pas après la mort de Malik Oussekine. 

Face à l'évidence de la sortie de route, du monceau de conneries accumulées depuis quelques mois, l'exécutif n'a qu'une ligne de défense à adopter : faire profil bas. Or, c'est l'inverse qui se produit. De Castaner à Griveaux, de Collomb à Aurore Bergé : de l'arrogance mâtinée d'ignorance, du mépris pour des questions très légitimes. Rien de mieux pour affoler la presse et les rumeurs les plus folles. Si Benalla n'a pas été viré, c'est qu'il sait des choses. "Un proche du couple" : a t'il couvert des folles nuits avec des partenaires de gaudrioles non avouables ? Sans doute pas, mais l'absence de sanction laisse forcément penser ça. 

Il y a quelque chose de fou à observer un échange entre Castaner et Marine le Pen et donner raison à cette dernière. A écouter l'audition de Gérard Collomb par des personnalités comme Eric Ciotti, Marine le Pen, Gilbert Collard ou Nicolas Dupont Aignan et se dire que ceux qui défendent la République sont ceux qui demandent des légitimes réponses à des questions fondées plutôt que celui qui s'enfonce dans le silence et le déni.

La crise que traverse nombre de démocraties se fonde souvent sur des attitudes de morgue d'élus qui pensent que leur élection vaut quitus pour tous leurs agissements pendant toute la durée de leurs mandats. Erreur tragique. Dont on a maintenant la preuve qu'elle transforme les grenouilles en boeuf ou les cafouillages de barbouzes en scandale d'État...