16/09/2018
Pour une politique de l'emploi débarrassée des croyances
Dans l'épisode "le débat" de la dernière saison de la série "The West Wing", le candidat républicain Arnold Vinick répond au démocrate Mat Santos, lequel avait promis de créer quelques millions de jobs grâce à sa politique : "je ne vais pas vous donner de chiffres. Je pourrais vous dire que je vais créer 2 millions d'emplois, pourquoi pas 4 millions. Mais c'est faux. L'honnêteté me pousse à vous dire que je vais en créer zéro. Les politiques ne créent pas d'emplois. Les entrepreneurs créent des emplois. Le rôle du politique c'est de façonner l'environnement pour qu'ils puissent produire des richesses".
Ce petit bréviaire du catéchisme libéral, date de 2006 et n'a pas pris une ride. Chez les vrais dirigeants libéraux du monde entier, on parle comme dans la grande série progressiste. C'était complètement inepte hier, ça l'est toujours aujourd'hui. Mais comme souvent avec les croyances, on évite de voir les évidences et on perpétue les saints préceptes en priant pour que ça marche. On psalmodie "aide-toi, le ciel t'aidera". Si ça foire, on ne s'est pas assez aidé, si ça marche c'est grâce au ciel. Les trucs de bonneteau quoi. En politique, remplacez "ciel" par "conjoncture" et le tour est joué.
Sous le quinquennat Hollande, cette croyance a battu tous les records avec des baisses de cotisations sans précédent, pour à peu près bernique en termes de créations d'emplois. Les pin's "1 million d'emplois" de Pierre Gattaz prennent gentiment la poussière sur nombre d'étagères pendant que les dizaines de milliards du CICE et du pacte de compétitivité s'entassent chez ceux qui n'en ont pas besoin. Qu'ont ait pu se fourvoyer dans le passé, avec le bénéfice du doute, c'est le propre de l'expérimentation. Mais après près de quarante années d'échecs systématiques des politiques de baisse de cotisations et d'impôts pour créer de l'emploi, ceux qui s'obstinent dans cette voie sont soit très bornés, soit très complices de ceux à qui ils accordent des baisses substantielles. Les voies des intérêts financiers sont beaucoup moins impénétrables que celles du seigneur.
Les entreprises ne sont pas toutes à but d'emplois, loin s'en faut, et encore moins en emplois locaux. Vous exigez des gouvernements nationaux qu'ils vous donnent tout en termes d'infrastructures, de transports, santé et éducation, mais vous refusez de vous acquitter des impôts sur les richesses produites. Ensuite, vous demandez des abattements pour embaucher et vous n'embauchez pas. L'exemple le plus édifiant, c'est Carrefour qui, en cumulé sur 5 ans, a touché entre 600 et 800 millions d'euros au titre du CICE, sommes entièrement redistribuées aux actionnaires, sans créer d'emplois dans un secteur où l'embauche peut pourtant exister. Entrepreneurs et emplois ? Caramba, encore raté... Du côté du numérique où l'on bénéficie là aussi d'allègements ronflants, le nombre de jobs crée est famélique en ratio job/euro, surtout quand on pense aux emplois défoncés par ailleurs.
Peut être y aura-t-il un moment où on cessera de se polluer la tête avec ces croyances ineptes, notamment l'idée que seuls les entrepreneurs créent des emplois. Et encore, à condition qu'ils soient tenus à ne s'acquitter d'aucune solidarité sur les richesses crées grandement grâce au collectif. Peut être y aura t'il un moment où l'Etat appliquera une politique de l'emploi conditionné... à l'emploi. A l'activité. Un truc de fou, en somme.
Les deux plus grands gisements d'emplois face à nous sont l'agriculture et l'énergie. Parce que notre modèle d'agriculture extensive nous empoisonne et parce que notre modèle énergétique nous étouffe. Déployer des centaines de milliers, voir quelques millions d'emplois dans ces deux secteurs est souhaitable. Il faut partir de là. C'est souhaitable pour des questions de survie, pour les générations futures, pour la santé de tous. C'est souhaitable, mais c'est aussi faisable. Là où les croyances sur les baisses de charges ne peuvent être étayées par des faits, on peut montrer l'exemple de tous les pays plus en avance que la France sur la révolution énergétique (Chili, Portugal, Norvège...) et montrer les emplois crées hic et nunc. Pas des promesses, des faits. Dans l'agriculture, on nous dira "les agriculteurs se suicident car ils gagnent une misère et vous voudriez amener des centaines de milliers de concurrents". Idéologie, quand tu nous tiens. Les agriculteurs qui produisent en bio, en raisonné, gagnent mieux que leur vie que ceux qui sont contraints à produire pour l'agro industrie des produits de moindre qualité dont une grande part finit dans les poubelles... Faits à nouveau.
Il y a dans le plan Pauvreté présenté jeudi dernier deux éléments intéressants dans un océan de foutaises, ce sont le soutien au Plan Territoires Zéro Chômeurs d'une part et celui et aux entreprises d'insertion par l'activité économique, d'autre part. Parce que les deux produisent des résultats importants en termes de création d'emplois et de retour à l'emploi pour des personnes qui en sont très éloignés. Preuves à l'appui. Mais même en changeant d'échelle, ces économies de la réparation ne trouveront pas d'activité aux plusieurs millions de français qui aujourd'hui ne travaillent pas autant qu'ils le voudraient (3 millions pas du tout, 3 millions pas assez). Pour ce faire, on peut toujours harmoniser la répartition de la charge de travail. Un déménagement est plus efficace à dix qu'à six, mais si on de dispose d'un budget que pour sept déménageurs, impossible d'embaucher les paires de bras manquantes. Les 32h peuvent jouer un rôle, mais ça sera marginal.
Pour le reste, le volontarisme si souvent décrié reste pourtant le plus efficace : si on manque d'emplois en France, on ne manque pas pour autant d'activité : outre l'énergie et l'agriculture, il manque des centaines de milliers de personnes pour s'occuper de l'éducation et du soin des plus fragiles. Il manque des armées de bras pour recycler, réparer et donner une nouvelle vie aux produits issus de la surconsommation... Autant d'occupations qui ne seront pas crées par les entrepreneurs qui n'ont que les baisses d'impôts et de cotisations à la bouche. Autant de solutions qui sont à portée de main à conditions de se départir de certaines croyances tenaces.
15:42 | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
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De Charles Maurras on disait qu'il était devenu fou à force d'avoir raison : sur le capitalisme, les turpitudes de la république , la montée en puissance du nazisme ...
Il était , de plus , sourd comme un pot ...
Cela ne l'a pas préservé de se tromper lourdement en 1940 et de persévérer dans l'erreur .
Je doute que Castor soit sourd, mais sa façon de s'accrocher à des évidences " simples et robustes " comme les servantes bretonnes d'autrefois rappelle le "j'ai raison " pathétique du vieux lion monarchiste .
Écrit par : JC Jaurras | 19/09/2018
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Avoir à tout prix raison , une maladie de la raison ....
Difficile à soigner par les méthodes classiques de la psy ; plutôt que d'y recourir , je suggère que l'on lise ou relise les dialogues où Platon met en scène les joutes de Socrate avec les sophistes ( ces forcenés de la " raison" ), et , plus près de nous , Montaigne ,Pascal , Montesquieu et Voltaire , ces professeurs d'esprit critique
Écrit par : Anna-Lisa | 19/09/2018
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A propos de l'agriculture et de l'énergie , créatrices potentielles de nombreux emplois , on ne peut que donner raison à Castor ; mais je ne suis pas certaine que sa distinction entre ce qui est rationnel et ce qui relève de la "croyance" soit pertinente : les idéologies sont toutes plus ou moins des " croyances" et c'est aussi le cas des convictions individuelles qui se réfèrent au bon sens ...
Écrit par : Sidonie | 20/09/2018
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