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07/11/2018

Nous méritons les populismes

La chose m'avait frappé en 2016, elle me navre encore plus en 2018 : si Donald Trump est vraiment la catastrophe planétaire que tout le monde annonce, le monstre sans nom, misogyne, raciste et homophobe, écocidaire et socialement aveugle, comment expliquer que si peu de gens se mobilisent contre lui ? Contrairement aux dictatures, il y a une opposition avec des candidats qui ont une chance de l'emporter. Contrairement aux régimes autoritaires, les élections ne sont pas sous tension, il n'y a strictement aucune menace ou contraire (en théorie) à se rendre à l'isoloir. Dans une période de passions chaudes, de drames, il faut des actions dramatiques. Elle ne sont pas venues.Le chiffre de l'abstention pour les Midterms dit tout du désarroi feutré face à Trump. C'est beaucoup mieux qu'en 2014, mais à des années lumières de ce qu'il aurait fallu. Le résultat de la soirée est claire comme de l'eau de roche : Trump est un président comme les autres. Comme les autres, il a perdu la Chambre et garde le Sénat. Comme Obama. Il sera emmerdé aux entournures, ne pourra pas trouver le financement pour son mur mexicain et quelques autres mesures, mais il reste un président avec une capacité d'action.

De quoi parle-t-on ce matin ? D'individus. Plus de femmes que jamais, deux indiennes natives, des musulmanes. Dans une Amérique aux mains du symbole des travers de l'homme blanc, les récits sont forts. Quand les nouvelles élues parlent d'Amérique changée, elles confondent leur destin personnel qui a changé comme jamais et le sort du pays qui semble au contraire digérer de façon pateline, l'idée que Trump n'est pas une catastrophe. Toutes ces nouvelles stars ont des trajectoires, des agendas et des envies diverses et pour 2020, le match n'est donc pas joué, loin s'en faut. Trump a toujours sa base, deux ans après. Il reste un Président classique et le populisme est banalisé, institutionnalisé. L'abstention n'est pas la seule responsable, évidemment. Au Brésil, le vote est obligatoire et si nous n'avons pas eu 100% de votants, l'écrasante majorité d'électeurs qui se sont tout de même déplacés a donné une très confortable majorité à un type pourtant dépeint en France comme une ordure de la pire espèce. 

Nous méritons les populismes parce que les récents gouvernants n'ont pas assez pris la démocratie au sérieux. Comme le rappelle le politologue Yascha Mounk, plus des 2/3 des Américains nés dans les années 30 et 40 considèrent la démocratie comme un bien supérieur à préserver à tout prix. Cette proportion tombe sous les 1/3 pour ceux qui sont nés après 1980. Soit les jeunes sont complètement irresponsables (explication Finkielkraut), soit ils ne sont pas sortis de leurs crises d'adolescence qui valorise les comportements extrêmes (explication de psy médiatique), soit, plutôt ils sont lassés par anticipation d'un système qui n'a de démocratique que l'élection (et encore, aux US le ticket financier exclut de facto tous ceux qui ne sont pas des hiérarques Démocrates ou Républicains, ou milliardaires pour se financer eux mêmes). 

L'arrogance des progressistes fait que nous méritons les populismes. Ce matin, Mateo Renzi dont le bilan devrait l'inciter à la modestie a expliqué que Salvini n'était arrivé au pouvoir que sur des mensonges et que Macron était un rempart. Maintenant qu'il a été viré si loin que ses chances de retour sont chimériques, que n'a t'il fait un mea culpa salutaire sur son propre bilan ? Pour inviter également les journalistes à changer leur focale et grille de lecture...

Le récit dominant de l'économie est criminel et s'accommode sans mal des populismes après les progressismes. "Un bilan économique florissant" expliquait le Monde à propos de Trump en veille de Midterms. Le même journal faisait exactement le même bilan pour Obama. Ils ne parlent que de la santé des marchés financiers, du taux de chômage officiel ou encore du nombre d'emplois crées. Je ne dis pas que ces indicateurs sont inexacts, je dis qu'ils sont outrancièrement incomplets. La question qui devrait les tarauder est évidemment celle de la qualité et de la pérennité des emplois créés. Les centaines de milliers, voire millions de jobs crées sur de l'économie de plate-forme, de l'intérim, du bout de chandelle, ça n'est pas "une carrière". Ceux qui raillent le "c'était mieux avant" ne regardent que les aspects qui les arrangent dans le progrès. Oui, l'espérance de vie a augmenté (même si elle plafonne) oui, l'insécurité a reculé (mais moins dans les quartiers populaires) oui le niveau d'éducation a augmenté (mais il n'est plus une garantie de vie professionnelle réussie). En revanche, peu de ces mêmes chantres du progrès ont l'honnêteté d'admettre que la "vie bonne" recule. L'éducation ne garantit plus la stabilité professionnelle, les sinusoïdes de carrière sont la nouvelle norme avec des conséquences catastrophiques sur l'immobilier : sans perspectives stables, aucune garantie que le bail locatif voire l'achat que l'on a signé tienne toujours dans trois ans. Le court termisme trimestriel est sans doute un projet pour les marchés financiers, pas pour les humains.

Trump ne s'y trompe pas : il n'a pas vanté son bilan économique dans la campagne des Mid Termes, bilan qui est sans doute flatteur pour la Trump corporation society et ses soutiens type frères Koch. Mais pour flatter sa base, il ne s'est pas risqué à cela... Parce qu'il n'a pas de bilan. Il est redevable de la charité de Bezos qui s'est décidé à augmenter le salaire minimum tout seul... Alors il a parlé immigration et insécurité. Dans des termes inouïs de mensonges, de manipulations grossières. Sur cette ligne digne de choquer le général Boulanger, Trump a confirmé qu'il est président élu comme les autres, faisant face à une alternance pateline. Entérinant, ainsi, que le populisme le plus outrancier est parfaitement compatible avec le jeu électoral.

Décidément, nous ne prenons pas assez la démocratie au sérieux pour accepter de jouer avec des pyromanes.