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12/11/2018

Le progrès, la valse et le col du fémur.

La fin du téléphone fixe, c'est pour bientôt. D'ici cinq ans, plus aucun téléphone "avec cordon et prise murale" nous disent l'écrasante majorité des articles qui commentent avec goguenardise une fausse disparition puisque "le téléphone fixe avec une box internet restera valable". Ce matin, pour illustrer cette nouvelle, France Inter avait choisi une utilisatrice de téléphone fixe de 96 ans qui commentait le délais de cinq ans ainsi "ho, ça va, je ne serai plus là !". Et voilà comment on euphémise la violence du rythme des progrès technologiques. Voyez, si vous n'êtes pas centenaire, tout va bien. Or, c'est faux, faux et archi faux.

D'abord, à l'évidence, la question de génération n'est pas si simple. Outre que nombre de grands parents chenus maîtrisent bien les nouveaux outils informatiques, nombre de jeunes sont atteints du "syndrome d'Obélix" à savoir qu'on leur suppute une aisance de hacker parce que nés après 1980 quand en réalité ils en sont tout juste bons à éteindre et relancer leur ordinateur en cas de souci... Et parmi l'entre deux, la maîtrise n'est pas proportionnelle à l'ancienneté. Donc, pardon, amis solutionnistes, mais une éducation au numérique démultipliée pour tous les âges, pas de révolution numérique des usages à attendre. En termes de "révolution universelle". Et c'est là le drame...

La valse du progrès s'est considérablement accélérée, mais laisse de plus en plus de gens au bord de la piste de danse, incapables de suivre le rythme. Et c'est de plus en plus pénalisant. Car si l'on plaisante sur ceux qui se retrouveront bientôt sans téléphone fixe, on se moquerait moins si on réalisait qu'ils ne prendront jamais de box faute de ressources financières et techniques et qu'ils rejoindront les rangs des grands exclus. Et pour ceux qui sont dans cette souffrance à 65 ans, on dit quoi ? "Vivez pendant 20 ans sans pouvoir parler à personne". On ne parle pas de petits désagréments de conforts, mais de besoins essentiels qui sont de moins en moins disponibles à portée de main. Il faut lire les notes d'Internet Actu sur la souffrance de familles modestes face à l'administration en ligne : elles reçoivent des injonctions par mail qu'elles ne comprennent pas, pour lesquelles on ne leur explique rien, alors elles font la politique de l'autruche en espérant un miracle. Que le premier qui n'a pas eu envie de casser un mur en allant sur impots.gouv ou fait une démarche de remplacement de Carte Vitale en ligne me jette la première pierre...

En outre, à cette première violence numérique, s'ajoute une violence de plus en plus forte dans le monde physique. Double peine pour les exclus du numérique. Les guichets pour acheter des billets SNCF ne désemplissent pas. Les réclamations pour achats défectueux de tous ordres, n'en parlons pas. Les files d'attente aux impôts en mai ressemblent aux devantures des boucheries de l'URSS. Et les urgences de nos hôpitaux qui explosent, nombre de ceux qui sont là pourraient trouver des médecins qui acceptent la CMU et l'ont bien précisé sur Doctolib, mais évidemment pour cela il faut connaître Doctolib et pouvoir y accéder... Quand ça n'est pas le cas, on peut passer 9h aux urgences pour ressortir avec des anti inflammatoires ou des diurétiques. Progrès ?  

Au XIXème siècle, les progressistes n'avaient qu'une obsession : comment permettre à tous de vivre "une vie bonne". L'utopie était alors universelle. Nos nouveaux progressistes pointent l'égalité des chances contre l'égalité et la course au progrès profite à une poignée de plus en plus raréfiée d'individus. Avis aux malheureux qui se seront cassés le col du fémur en essayant de suivre le rythme infernal de la valse du progrès nouveau : il va falloir aux urgences, mais il va falloir s'armer de patience car sauver la maison commune n'a plus l'heur d'être la priorité absolue de nos élites.