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25/11/2018

Lettre à mes amis gilets jaunes de salon.

Un des points les plus saillants du mouvement des gilets jaunes, c’est l’écart stratosphérique entre son soutien dans l’opinion et son poids réel dans la rue. On pose peu l’équation en ces termes et on devrait. Car quand on soutient un mouvement, on l’aide concrètement, pas juste d’un pouce sur Facebook ou d’une réponse à un sondage. On donne du temps, de l’argent, on milite avec eux et quand ils appellent au rassemblement, on se rassemble. Or, même en prenant les chiffres les plus hauts, ceux des organisateurs, difficile de ne pas voir que la mobilisation concrète reflue fortement alors que le soutien de l’opinion reste très haut.

 

Le mouvement rassemble, au bas mot, trois fois moins de gens que La Manif pour Tous, dernier mouvement d’ampleur qui avait l’avantage de la clarté dans son mot d’ordre. Le mouvement rassemble moins que les manifs contre la loi El Khomri (j’y étais) qui dérégulait encore plus le monde du travail. Ces manifs avaient débouché sur Nuit Debout (j’y étais aussi) qui n’a pas débouché sur un Indignados/Podemos à la française comme les militants l’espéraient. C’est dur d’avoir un mouvement victorieux, j’en sais quelque chose, moi qui ai si souvent manifesté en vain, soutenu et donné de l’argent à des causes perdues… Heureusement que les zadistes, sur une lutte circonstanciée, nous ont apporté une lueur. Encore une fois, ce qui m’interpelle avec les gilets jaunes, c’est que tout le monde dit « allez y », mais peu de monde y va…

 

Aux authentiques gilets jaunes, je n’ai évidemment aucune leçon à donner. Evidemment pas sur l’écologie. Parce que Macron mène la politique la plus écocidaire de nos présidents et que sous ses # foireux, il s’accommode de forages de mines d’or, d’importation d’huile de palme et autres atrocités. Ensuite, parce qu’en dépit de mes déplacements Pass Navigo et ma consommation de bouffe raisonnée, mon bilan carbone est pire que le leur puisque je prends l’avion plusieurs fois par an. Donc pas de leçon écologique et encore moins de leçons sociales. Je sais que je paye chaque mois en impôts plus que ce qu’ont beaucoup de gens qui défilaient hier, pour vivre. Pas de leçon, pas d’opposition. Je paye beaucoup d’impôts, mais je ne triche sur rien, n’optimise rien, ne dissimule rien et ne passe pas mes dîners privés en note de frais. Privilégié évidemment, déconnecté, certainement pas. Je sais que les taxes sur le carburant sont socialement injustes et touchent en premier lieu les plus fragiles. Personne ne dit le contraire, à part le gouvernement, bien sûr. Aux authentiques, donc, aucune leçon. Beaucoup de compassion pour ce qu’ils vivent. Quand on gagne si peu, perdre encore 20 ou 30 euros pour venir à Paris hurler sa rage, ça en dit long. Mais quid de tous ceux qui se mettent à la remorque pour justifier « Macron démission » ? Ça n’est pas responsable…

 

Je m’étonne de la facilité, de la commodité des gilets jaunes de salon qui jubilent de la déliquescence politique actuelle sans rien faire. S’ils croyaient réellement au mouvement, ils donneraient à des caisses de solidarité, ils défileraient à leurs côtés et on aurait eu une marée humaine, hier. Ça n’est pas le cas. D’abord, parce qu’il n’y a pas dans ce mouvement que de braves petites gens désespérées par leurs fins de mois, anxiogènes car elles arrivent dès le 10 du mois. Il y a aussi une bonne part de racistes de base, exigeant de « renvoyer les migrants à la mer pour régler les problèmes », des homophobes, misogynes, des bourrins qui veulent juste hurler. Evidemment, on ne veut pas défiler à leurs côtés. Pas plus qu’on ne veut se contenter de « Macron Démission ». On veut la justice, le partage, l’écologie pour tous à commencer par les gros pollueurs. Tous mots d’ordre qui n’existent pas foncièrement dans le cortège. Certains petits malins prêtent au mouvement ces préoccupations, mais ça n’est pas vrai. Il n’y a pas d’élan collectif. Certains disaient « les flics avec nous » parce qu’ils voulaient une convergence des luttes, mais beaucoup parlaient de leurs difficultés propres. D’autres petits malins, storytelleurs, disaient qu’en 1789, en 1968, il y avait aussi de la violence et des problèmes. Bien sûr, mais un idéal guidait les masses qui se sont rapidement constituées. En 1789, les députés du tiers Etat qui n’avaient pas eu gain de cause lors des Etats généraux ont dit qu’il n’y avait plus rien à négocier face à la famine et le renversement a eu lieu sur un idéal d’égalité. En 1968, fusion et rencontre des idéaux étudiants de liberté et d’autonomie et des ouvriers avec la hausse conséquente du SMIC et d’autres avantages sociaux. Immédiatement, cela prend. On a un but. Pas aujourd’hui. Je n’attends pas le mouvement « parfait » pour le rejoindre, je dis que celui-ci est franchement douteux, derrière la vitrine de quelques milliers de malheureux qui défilent et que je comprends, mais que je n’ai pas rejoints hier, faute de but commun. Et ça n’est pas par « manque d’intérêt personnel ». Je risque peu de me noyer en Méditerrannée et je vais aux rassemblements de l’Aquarius. Je ne suis pas touché par le gel du point d’indice des fonctionnaires, mais je me joins à eux car leur idéal me touche. 

 « Il ne faut pas ériger son impatience en dogme » écrivait Lénine et je comprends que nombre de personnes issues de la gauche commettent cette erreur de diagnostic. Bien sûr la lassitude est là : l’opposition à la SNCF, à Parcoursup, aux ordonnances travail, n’a rien donné malgré le monde dans la rue. J’étais de toutes ces manifs, comme de la « fête à Macron » de Ruffin en mai dernier. Dès qu’il y a un mot d’ordre, un but, j’en suis. Il n’y en a pas dans les gilets jaunes, ça me fait dresser l’oreille.

 

Hier, j’étais comme trop souvent ces derniers temps aux urgences d’un hôpital public pour visiter un proche. Toutes les raisons de la rage sociale sont là. Toutes. Un monde de dingue à cause du personnel qui manquait à l’appel, puis le chef urgentiste qui vient, l’air las et s’excuse par avance pour les heures d’attente car il n’a que la moitié des effectifs nécessaires pendant encore 4h avant l’arrivée de renforts, qui ne pourront écluser les retards accumulés le matin. Seules deux personnes se sont levées. Les autres sont restées. Pas nécessairement parce qu’elles avaient trop mal, mais parce qu’on ne peut les soigner gratuitement ailleurs. Ceux qui n’ont pas les moyens de se soigner, dépendant de soignants aux moyens de plus en plus précaires, qu’il s’agisse de leur cadre de travail (cadence, matériel…) ou de leur rémunération. Eux, qu’ils revêtent un gilet jaune, je comprends. D’ailleurs hier, dans le cortège, j’ai vu des infirmières libérales, payées 4,50 euros l’injection, rapporté à des des déplacements non remboursés, tu parles d’une vie… Quelques-unes d’entre elles sont allées gueuler, l’écrasante majorité a bossé ou s’est reposée après une semaine éreintante.

 

Quand on croit à un mouvement, on le soutient, c’est ce que j’ai toujours fait. Chers amis gilets jaunes de salon, soyez cohérents : soit vous y allez, vous les soutenez, soit vous assumez qu’il faut peut-être construire une alternative. En partant de revendications et en les structurant : partage, justice, écologie. Sans cela, juste avec le « Macron dégage », on ne va pas loin et surtout on se fait toujours doubler par l’extrême-droite. Toujours. Amitiés quand même.