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02/08/2019

Être doublement à l'os numérique

Numérique et pollution sont trop rarement associés. A tort, bien sûr. Mais le récit solutionniste du miracle d'une technologie qui ne laisse pas de traces continue à jouer à plein. Face aux ringards courriers postaux, vive les envois dématérialisés par mails,  plus d'émissions de billets de spectacles, de transports, nous allons vers un monde du zéro papier, zéro émission. Youpi. Au début d'internet, ça passait. Et puis, la taille des entrepôts géants de Facebook et Google implantés dans les forêts du grand nord pour limiter la chaleur des data centers a commencé à faire tiquer. Depuis, le désastre est archi renseigné, depuis la conception des appareils électroniques (lire "la guerre des métaux rares" de Guillaume Pitron) à notre incapacité à penser des services peu gloutons en énergie (lire "l'âge des low tech" de Philippe Bihouix). Surtout, le total d'énergie liée aux écrans fait peur : le visionnage de vidéos à fait exploser la demande mondiale avec une célérité non prévue par les experts. Et nous sommes déjà au pied du mur.

Nous sommes doublement à l'os. Premièrement, car la trajectoire actuelle est folle : la part des gaz à effet de serre liée aux écrans pourrait doubler à horizon 2025 (soit demain...) passant de 4 à 8% de l'ensemble mondial. En cinq ans... Deuxièmement, car nous sommes déjà au delà de la sursollicitation avec des centaines de messages publicitaires qui nous arrivent chaque jour et un nombre de sollicitations sociales ou informatives qui dépasse l'obésité. Au-delà de la civilisation du poisson rouge, il n'y a pas grand chose, à part la civilisation des lemmings ou des morts vivants. Peu engageant. 

Les fortunes liées au numérique se sont constituées avec une telle rapidité, avec un tel mépris des règles commerciales et fiscales, mais aussi si peu de souci des contraintes environnementales, qu'il ne faut pas attendre des géants qu'ils s'autodisciplinent. Comme l'ont rappelé tous les repentis lanceurs d'alerte issus desdits géants comme Tristan Harris, leurs algorithmes n'ont qu'un but : maximiser notre temps de présence sur Facebook et nous faire cliquer sans fin sur d'autres liens à partir de Google. Chouette... 

Le salut ne peut non plus venir des consommateurs. Il existe bien des applis pour bloquer la présence sur les réseaux sociaux ou bout d'un temps donné, mais elles ne rencontrent pas un succès fulgurant. Netflix a connu un premier coup d'arrêt dans ses abonnements, mais la consommation de VOD continue d'exploser. Le meilleur moyen de diminuer notre temps passé en ligne, c'est encore d'habiter en zone blanche ou d'attendre des bugs réseaux.... 

Le seul moyen de réduire massivement l'empreinte carbone du numérique doit donc être collective, ou politique. En exigeant des acteurs économiques de nouvelles normes beaucoup moins énergivores, d'une part. Retourner à la 3G, plutôt que d'aller chercher la 5G. Inutile de dire que nous ne sommes pas encore sur cette trajectoire... 

Mais cette trajectoire pourrait finir par nous être imposée par un dérèglement climatique accéléré obligeant à des mesures coercitives. Deux scénarios se dessinent : le premier est proposé depuis des années par des acteurs engagés pour un numérique responsable, donner un crédit numérique à chacun. Libre à nous d'utiliser ce stock comme bon nous semble, comme un forfait, mais limité par essence. La fin de la consommation non stop, du binge watching. Les usages étant très différents, les gros visionneurs pourront racheter à leurs voisins moins gourmands, mais on encadre la consommation globale de bande passante. Tempêtes sous crâne d'oeufs pour réussir à modéliser et chiffrer tout ça, mais au moins on comprend le principe.

La montée en puissance des régimes autoritaires ou pour emprunter le dernier néologisme en vogue, de "contrôlocratie" pourrait aussi laisser penser à un encadrement "pragmatique" du web. Après tout, le visionnage de vidéos porno dans le monde émet autant de GES que l'ensemble des bâtiments français. On interdit. Les vidéos de chatons ? On interdit. Ce genre de mesures pourraient même avoir l'assentiment d'élites déjà habituées à cette rhétorique en ce qui concerne la surveillance "si on n'a rien à se reprocher, ça n'est pas grave d'être écouté". De la même manière, tant qu'on est un bon citoyen, l'interdiction de vidéos nuisibles ne doit pas nous déranger, le porno est une atteinte aux bonnes moeurs et les chatons une insulte à l'intelligence. Viendront ensuite les tutos maquillages, les compilations de buts de foot, les tubes de l'été, puis Games of Thrones et Casa de Papel. Là, évidemment, ça braillera, mais il sera bien trop tard, car on nous dira que la maison brûle et qu'il faut être responsable. Ça ressemble à un épisode de Black Mirror et le principe de cette série étant de se situer aux confins de la réalité, nous voilà bien...