12/08/2019
A quand une transformation des retraites ?
La semaine du mitan d'août, les vacances prennent tout leur sens : tout est vide. Les rues des villes, les bureaux, les boîtes mail. Seuls les professionnels du tourisme mettent les bouchées double et les sur réservations. Face à ce temps libre retrouvé, on en vient à aborder plus que sereinement la période qui succèdera à la vie professionnelle. Ca doit être sympa, de pouvoir visiter des sites magnifiques hors périodes de pointe chaque année. Plus calme, plus beau et cerise sur le strudel, moins chère aussi. L'été, on peut profiter des musées vides, des salles de ciné fraîches et des terrasses où il ne faut pas se battre. La vie doit être douce comme Paris au mois d'août, de René Fallet.
On devrait voir les retraites ainsi, comme un cadeau inespéré que nous offre la vie. En 1945, l'espérance de vie des français correspondait à celui du départ en retraite, 65 ans. Il y a désormais 22 ans de temps libre gagné entre l'arrêt du travail et le trépas. 22 ans, c'est inouï. Michel Serres évoquait souvent le fait que la longévité nouvelle de l'humanité mettait fin à elle seule au débat de savoir "était-ce mieux avant ?" et de répondre par la négative. Le professeur de gérontologie Gilles Berrut aime lui à rappeler que les sexagénaires et les septuagénaires sont les plus heureux de nos concitoyens selon moult enquêtes. Pour une société qui vend la quête du bonheur comme le Graal et, en même temps, la jeunesse comme absolue, voilà qui fait clocher l'équation.
Je ne dis pas que la sémantique joue pour tout, mais personne ne veut battre en retraite. Personne ne veut capituler devant le triomphe supposé que fut la vie professionnelle... Je jalouse les espagnols qui, lorsqu'ils ne travaillent plus, deviennent des "jubilados". Jubiler est une perspective autrement plus tentante que de battre en retraite. Pourtant, les chenus espagnols sont bien plus pauvres que les Français. Le minimum retraite en France est trop faible, c'est une litote et la dépendance est un fléau humain comme financier. Mais le minimum retraite reste plus sympathique que son homologue jeunesse et moins de 20% des vieux deviennent dépendants. Et souvent la dépendance survient à 80 ans. On pourrait tout de même parler de ces années de 62 à 80, de ces dix huit années passées à découvrir, à apprendre, à donner de ses savoirs, de son temps, à ses enfants, ses petits-enfants, à des associations. Il y a tant de choses à faire pendant ces dix huit années, une vie du commencement au bac, quand même. Ça n'est pas rien. C'est même assez fou.
Depuis trente ans que je suis la politique, on ne m'a jamais parlé de ça pour me vendre une réforme de retraite. Personne n'a jamais vendu de transformation. Tout le monde sort des graphiques d'espérance de vie et devise pour savoir combien de trimestres travaillés il faut rajouter pour obtenir une retraite à taux plein. Personne ne nous parle de retraite vraiment progressive (pas une pseudo pré retraite qui maquille souvent des licenciements honteux) pour tout ceux qui ont peur du vide et qui pourraient décélérer le rythme hebdomadaire dès leur 50 ans, pour finir à 65 ans et tirer le rideau après une dernière année passée à travailler 18 heures par semaine, pour transmettre quelques ultimes savoirs.
Surtout, personne ne vous vend des bilans de compétences personnelles pour permettre aux néo retraités de réussir leur retraite. Ca n'est pas rien, de passer d'un temps plein et socialement encensé à un temps vide et socialement méprisé. Ca n'est pas rien, d'entendre à longueur de journée qu'on "coûte" qu'on est "un fardeau" quand on aussi beaucoup apporté... L'expression "changer de regard" est un lieu commun, j'en conviens, mais elle dit bien l'essentiel. Changer de regard sur la retraite qui est devenu un quart de notre espérance de vie me paraît une priorité autrement plus ardente que ce qui sera débattu à la rentrée avec une réforme de retraite ressemblant comme deux gouttes d'eau, aux précédentes. Caramba, encore raté. Français, encore un effort pour enfin jubiler.
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