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02/01/2020

Quel intérêt ?

Comme tous ceux qui s'intéressent à l'actualité politique, j'ai lu la promotion à venir pour Jean-François Cirelli dans l'ordre de la légion d'honneur. Cet ex dircab de Raffarin à Matignon, puis dirigeant de GDF au moment de la privatisation/fusion avec Suez, est donc félicité pour son activité de dirigeant français du fonds Black Rock. Ce fonds Moloch (il gère 6 000 milliards $ d'actifs) guigne rien de moins qu'une réforme des retraites par capitalisation, en France pour mettre la main sur "le magot de l'épargne des français". En pleine grève contre la réforme des retraites, la décision qui fut sans doute prise il y a trois de mois, a de quoi faire tousser, pour ne pas dire plus.

En lisant cette énormité, je me suis posé une seule question : quel intérêt ? Quel intérêt à Edouard Philippe (car c'est sur son quota que la breloque sera épinglée) a à faire ça ? Rationnellement, aucun. Une légion d'honneur doit donner 3 euros de retraite en plus par mois à un type qui en aura une à 5, voire 6 chiffres et un patrimoine permettant à ses enfants de ne jamais travailler. Elle ne donne aucun jeton de présence, pas de prestige, pas d'entrées quelque part. Juste une surboum où le premier ministre épingle Cirelli et lui distille 1/4h de discours sucré sur "le service de la République". Généralement, on remercie par ce hochet les méritants qui souquent pour la République sans jamais demander un euro. Cirelli, c'est l'inverse. Il a tété Marianne, puis s'est gavé de millions privés sales comme jamais, et là, il demande un rab de respectabilité et de reconnaissance. Incompréhensible. D'où la question qui revient : quel intérêt ?

Il y a, bien sûr, une première piste d'explication qui défoule. Une piste conspirationniste, complotiste, parfaite pour les amateurs de Thinkerview ou les lecteurs de Juan Branco : parce que Bilderberg, parce que le gouvernement mondial, parce que la maîtresse d'un tel serait depuis avec tel autre... Parce qu'on ne nous ne dit pas tout, croisons les annuaires des anciens de sciences Po, avec celui des réservations au Flore, chez Lapérouse et chez Taillevent et ha ha ! Le grand complot mondial des élites qu'on nous cachait explose enfin ! Ils ont tous des agendas communs et des comptes communs, on le sait ! Ce genre de récits seraient drôles si des malheureux ne se faisaient happer comme des phalènes par un lampadaire et allaient ensuite prêcher cette parole révélée. Pauvres gogos, vous êtes les idiots inutiles de la lutte avec vos fariboles. Reprenons.

A bien me triturer le cortex, je vois deux pistes d'explications sérieuses à cette affaire et pas franchement reluisantes ou rassurantes pour l'Etat du pays.

La première, c'est le fameux "j'assume" d'Edouard Philippe. Son passé de lobbyste chez Areva, la fin de l'ISF, la fin de la flat tax, toutes ignominies, il assume. Cette tactique un brin grossière a le mérite de couper l'herbe sous le pied des contradicteurs et de gagner du temps. Soufflé par l'aplomb du premier ministre, on peine à répliquer. Vraiment ? Vous assumez de décorer le patron d'un fonds de pension ? Oui oui. Que dire face à tant d'outrecuidance ? C'est compliqué. Compliqué, mais passé l'effet de surprise, le "j'assume" se retourne vite contre vous et avec une rentrée sociale qui s'annonce caniculaire, je peine à croire que ça soit l'option retenue par l'exécutif.

La seconde, c'est la déconnexion. Repensons aux photos d'embrassades de Macron avec Bernard Arnault. Le "si tu veux te payer un costard, faut bosser". Le "dans les gares, ceux qui sont tout, ceux qui sont rien". "Tu veux un boulot, traverses la rue !". Ad nauseam... La composition sociologique du gouvernement, de leurs cabinets, des députés LREM, bat des recors d'avocats d'affaires, de lobbystes, d'agents d'influence divers. Pas l'once à l'horizon de celles et ceux qui seront lésé.e.s par la réforme des retraites, comme on ne rencontre pas celles et ceux qui ont pâtir de l'infâme réforme de l'assurance chômage. Aussi, les vociférations de la rue ne leur parviennent tout bonnement pas. Ils sont complètement dans leur bulle hermétique et dans leur bulle, épingler Cirelli est assez logique, puisqu'ils partagent une même vision du monde. Cette piste est sans conteste la plus crédible. 

La comparaison avec 1789, maintes fois reprises ces derniers temps pour signifier une déconnexion entre la cour et le reste des sujets du royaume, ne me semble plus si justifiée. Sans vouloir défendre Louis XVI et sa clique, ils avaient alors pour eux de ne jamais avoir connu de révolution, de ne jamais avoir imaginé que l'on puisse vouloir abolir les privilèges, de naissance comme de situation. Ils avaient aussi pour eux l'avantage d'une absence de transparence, puisque la plupart des caprices exubérants des membres de la cour, les débauches des repas ou en cadeaux somptuaires, jamais cela n'était renseignée par les gazettes avec exactitude. On parle d'un temps où le média Brut n'existait pas, c'est dire si la presse citoyenne était faible... 

Blague à part, les nobles de 1789 ont récolté ce qu'ils avaient semé et il y a assez peu à pleurer, rétrospectivement, sur un système mortifère entretenu pendant des siècles. Je ne dis pas que la guillotine à répétition me réjouis, je dis que compte tenu du niveau de violence dans la société d'alors, c'était inévitable pour aller vers le progrès. En 2019, nous n'en sommes plus là et nous devrions pouvoir aller sereinement vers plus de partage, puisque 9 français sur 10 pensent qu'il y a trop d'inégalités. Au moment où d'écrasante majorité s'accordent sur plus de Communs (notamment avec des soignant.e.s mieux payé.e.s et plus d'équipements, mais aussi des profs mieux payé.e.s), moins de privatisation, nos dirigeants font tout l'inverse. Ils le font avec l'impunité arithmétique de nos institutions. 9 français sur 10 veulent plus de partage, ça signifie que même des électeurs LREM désavouent ce qui se passe aujourd'hui. Aucune décision rationnelle, populaire, ne peut expliquer ce genre de provocation gratuite comme la décoration de Cirelli. Ça ne correspond à rien. Au fond, cette breloque est l'expression la plus crue, la plus absolue, d'un sentiment d'impunité totale, le sentiment que plus jamais la rue ne pourra perturber le cours impavide des habitants des palais lambrissés.  

Commentaires

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Castor , le retour ! gonflé à bloc ! ça promet ...

Écrit par : Léo | 02/01/2020

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L' année sera plus longue que les précédentes ; tiendra-t-il la distance ?

S'il commence à explorer la liste des décorés , il a du pain sur la planche ! qu'il n'oublie pas ses potes de la gauche vertueuse !

Écrit par : 20 100 | 02/01/2020

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" Il est difficile d'arriver à un certain âge sans vérole ni décoration " ( Gide ?)

La vérole se soigne , avec l'aide de la Sécuc , mais la décoration laisse des traces .

Matzneff lui-même en a reçu une il y a peu ...

Stavisky en arborait une lui aussi , et pas des moindres.

Écrit par : Cluny | 02/01/2020

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Castor , en fin d'année et peut-être avant , recevra la Prix de Vertu ,section "Indignés" ; utile dans un CV ...

Écrit par : Lesbie | 02/01/2020

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Castor n'aime pas les riches ,sans parce qu'il en fréquente , le pauvre ...
Moi , je n'en connais pas , ni à Douceur Angevine ni dans la commune .
Il en existe peut-être qui font semblant de ne l'être pas , par crainte d'être stigmatisés par un procureur .

Écrit par : Mémé Octogénie | 02/01/2020

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Sous le pauvre , chercher le riche , honteux ou prudent

Sous le riche , chercher le pauvre qui frime ...

Écrit par : Paul Prolo | 02/01/2020

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La ploutophobie , maladie de riche ...

Écrit par : Anna Lisa | 03/01/2020

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"Castor n'aime pas les riches ,sans parce qu'il en fréquente , le pauvre ..."

Vous vouliez sans doute, chère Mémé, écrire " sans doute"

Ceci dit , vous avez sans doute raison , mais , dans les diatribes du procureur , il faut, comme toujours , faire la part de la pose et du jeu de rôle ; un petit milieu où l'on cherche à se dédouaner en persiflant ; cracher dans la soupe , exercice convenu ...

Écrit par : Pépé Castor | 03/01/2020

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Pour qualifier les riches , mon grand -père dit " les gros" ( même s'ils sont maigres ) et ma grand-mère " le beau linge" même si leurs dessous ne sont pas bien nets

Écrit par : Barbara | 03/01/2020

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