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30/03/2020

Des chiffres et des humains

Sommes nous tous en train de devenir staliniens ? Pas pour la mutualisation des richesses et des ressources, mais avec le célèbre aphorisme de Tonton Joseph "1 mort, c'est une tragédie. 100 000 morts, c'est une statistique". Alors que d'héroïques lanceurs d'alertes chinois apportent des preuves de ce que tout le monde, y compris l'OMS (au silence coupable) subodorait : le régime maquille les chiffres de morts en divisant par au moins 30 le nombre de décès. La pandémie là bas tuerait comme en Europe ou aux Etats-Unis, c'est à dire des pays mal préparés, avec peu de tests pour isoler les malades et pas assez de masques au début de l'épidémie. Un pays d'1,3 milliards d'habitants ayant été surpris par l'épidémie ne peut avoir un bilan 3 fois inférieur à l'Italie et ces 65 millions d'habitants. Cela reviendrait à dire que l'on meurt 60 fois moins en Chine. Inepte. Les seuls pays qui ont une mortalité très basse (Corée du Sud, Taïwan, Singapour, Allemagne) ont aussi des méthodes sanitaires différentes. 

Alors que ces données sortent, au compte-goutte, les commentaires affluent sur le thème "nous aussi on ment". Un cheval, une alouette, 5 minutes pour Hitler, 5 pour les juifs, la censure meurtrière chinoise vaut des données euphémisées européennes... Ce genre de relativisme est plus que délétère.  

La modernité se commente beaucoup de manière chiffrée. On peut le critiquer, le déplorer, mais le fait est là, nous avons remplacé certaines croyances religieuses pour des croyances chiffrées. Un troc dangereux. Churchill disait "qu'il ne croyait les statistiques qu'à condition de les avoir maquillé lui même" et Mark Twain avançait "qu'il existe 3 manières de ne pas dire la vérité "les mensonges, les gros mensonges et les statistiques". Bien sûr. Il faut être prudent. Il y a encore des choses que l'on a pas le droit de mesurer, en France (origine ethnique, religion, orientation sexuelle) d'où la place à des délires comme les 6 millions de musulmans en France avancés par le front national quand l'INED en compte 2,2 millions et les 25% de gays dans la tête de Christine Boutin... Passons. 

Oui, il y a cela. Il y a aussi ce qui est difficile à comptabiliser. Les chiffres des manifestations, évidemment ou des marées humaines sont estimées à 10 000 personnes et un cortège de grincheux s'auto évalue à 100 000. C'est la loi du genre. Les économies parallèles, de la drogue ou de la fraude fiscale sont par essence dures à estimer avec netteté. Certes bis. Mais pour le reste, nous avons tant progressé que l'on doit accorder de la croyance aux chiffres. Comme l'écrit fort bien Olivier Rey dans Quand le monde s'est fait nombre,  "La statistique est aujourd’hui un fait social total : elle règne sur la société, régente les institutions et domine la politique. L’éducation disparaît derrière les enquêtes PISA, l’université derrière le classement de Shanghai, les chômeurs derrière la courbe du chômage… La statistique devait refléter l’état du monde, le monde est devenu un reflet de la statistique".

Le chiffrage est politique, il y a des chiffres et contre chiffres comme il y a des feux et contre feux et des récits et contre récits. Mais nos démocraties ouvertes, toutes imparfaites qu'elles soient, permettent aux vrais chiffres de sortir, nous mettre sur le même pied que les chinois est immonde. Nous savons, au jour le jour, l'avancée de l'épidémie, personne n'a caché quand les hôpitaux étaient saturés, d'où les transferts en TGV médicalisés. Les courbes, toutes imparfaites qu'elles sont, reflètent des tendances que nous contemplons à moitié comme des thermomètres, à moitié comme des talismans.

Bien sûr, on peut parler, gloser, de ce que représente les totaux de morts annoncés chaque soir, qui ne comptabilisent pas assez les morts en EHPAD, les morts seuls chez eux... Mais il n'y a pas de grand complot euphémisant ou fermant le jeu. Une épidémie se fout de tout et tue partout. Dans la "grande grippe", Freddy Vinet montre que la grippe espagnole a tué entre 50 et 100 millions de personnes. Un rapport de 1 à 2. 50 millions de cadavres non attribués. Ca n'est pas simple de chiffrer, mais ça n'est pas une raison pour ne pas essayer de le faire et vanter les mérites de comptabilités parallèles, propagées par des docteurs ès fake news qui parlent de millions de morts non comptabilisés en Europe. C'est évidemment faux et a des conséquences dramatiques sur le moral des troupes. Non, qui vole un oeuf ne vole pas un boeuf. Qui cache un mort n'en cache pas 100 000. Les mots ont un sens. Les chiffres aussi. Bravo à tous les soignant.e.s qui se battent pour que ceux-ci restent le plus bas possible. Dire que nous sommes la Chine c'est leur cracher à la gueule.