24/04/2020
Choisir son récit de crise
D'aucun.e.s me trouveront trop optimiste, hermétique aux risques, trop partial en somme. Toutes critiques que j'endosse volontiers. Parce que, contrairement à mes contradicteur.rice.s, je n'ai jamais cru à un récit objectif de l'existence, d'une crise, de l'histoire. Certains lisent en 1789 l'irruption de la justice sociale et la montée en puissance du désir égalitaire, d'autres y voient la fin de l'harmonie et du raffinement. On choisit son camp. En l'espèce, j'ai, sciemment, choisi celui de la vie contre la claustration. Je le reconnais.
On fait des choix, on choisit ce qu'on lit, ce en quoi en croit, ce qu'on veut voir, on gratte. Ceux qui prétendent à la neutralité du récit sont des benêts. Le récit sera ce que nous en faisons et la meilleure preuve de cela, c'est que le récit change constamment. Celui de la prévention, de l'auto-régulation voire de l'immunité collective ont prévalu et puis, petit à petit, nous nous sommes rangés à l'avis et la solution d'une dictature inhumaine, qui figure en antépénultième position au classement de la liberté de la presse, ce qui explique que nous ne saurons jamais ce qui s'est passé la bas.
C'est tout de même le fondement du problème actuel : le monde entier a opté pour la situation à la chinoise au motif spécieux que cela aurait été efficace. Évitons les thèses complotistes de Montagnier sur le labo et voyons les morts en Chine. Ils disent 3 000, les médecins et journalistes chinois censurés et disparus (ou mort du covid pour le lanceur d'alerte médecin) disent plus de 100 000. Convenez que c'est pas exactement le même récit, qu'on en tire pas exactement les mêmes enseignements, que c'est pas la même macédoine (que je situe sur une carte, loin de la Chine). Ils ont probablement merdé à fond de balle au début de crise puis fliqués de façon inhumaine la population avec des drones hurlant sur les gens de rentrer chez eux et une application traçant les déplacements. Toutes nos belles âmes ont dit (recherchez, internet oublie rien) "c'est des méthodes de barbares, nous sommes une démocratie, jamais nous ne gèrerons une crise sanitaire ainsi". Deux mois après, je vous le donne Émile, les braves français.e.s qui ne respectent pas le confinement sont rappelés à l'ordre par drone et nous aurons le choix d'avoir ou non l'application comme les russes peuvent ou non voter pour Poutine...
C'est quand même ça la réalité de base. La Chine a merdé comme jamais, pété sa croissance et quand le virus s'est répandu en Italie, les transalpins ont fait pareil. Je ne nie pas les scènes horribles dans les hôpitaux italiens, les sirènes d'ambulance en boucle, les médecins forcés de choisir entre deux patients, je sais tout cela, et je sais que c'est vrai. Mais à ne regarder que cela, on ne regarde pas tous les pays où la crise du Covid est gérée. Je parle des démocraties et laisse le "miracle" vietnamien de côté. Ils ont le même amour pour la liberté citoyenne et d'informer que la Chine donc le zéro mort vaut ce qu'il vaut... Mais la Corée du Sud, 52 millions d'habitants dans un pays hyper dense, ne confine pas et tout se passe très bien. Ils testent à fond, isolent tous les malades chez eux pour les célibs ou dans des hôtels pour les autres et ça va. 52 millions d'habitants. Plein de plus petits pays y arrivent aussi, mais je prenais un gros pour dire qu'en France, on peut. On pourrait à minima faire du confinement doux à l'allemande, où le BTP fonctionne, la plupart des commerces et ils ont 4 fois moins de morts que chez nous. Il n'y a pas de supériorité ontologique du confinement. On oublie de le rappeler et on s'est tous rétractés comme des tortues dans leur carapace face à un prédateur...
Par ailleurs, on parle toujours des chiffres comme s'il s'agissait d'une tragédie inédite, folle. Sans remonter à la grippe espagnole et aux conditions particulières liées à la première guerre mondiale, la grippe asiatique de 1957 a causé 100 000 morts en France. A population constante, cela ferait 150 000 aujourd'hui. Les hôpitaux étaient nécessairement débordés, mais on l'acceptait, on n'a pas tout fermé, tout arrêté. Idem pour celle de Hong Kong, en 69. On vivait.
Nous ne sommes pas en guerre, mais nous nous comportons comme si. La seule fois où Roland Garros et le tour de France n'eurent pas lieu, c'était les années de la guerre de 40. Pour la culture, de sombres années avec seuls les artistes collabos qui pouvaient se produire (des coeurs sur Charles Trénet Tino Rossi) et même ça, on a plus. Les pro covid sont quand même priés de faire rideau. Avignon aurait pu se tenir, les Charrues aussi, Solidays itou. On aurait limité la programmation à des artistes français, un peu plus de Zaz et de Françis Huster, c'était pénible mais un mal nécessaire pour qu'on sorte quand même, non ?
À mes amis pétrifié.e.s par le 11 mai, faut choisir notre camp et ce qui relève de notre responsabilité. Dire qu'on est gouvernés par des branques qui ont mal géré et vouloir se claustrer, c'est s'infliger une double peine. Le risque zéro, c'est le vaccin et un traitement efficace. Ca peut prendre six mois comme deux ans, comme plus. La période est anxiogène et le récit qui en fait tous les jours l'est mille fois plus. Avouez que vous sortez marcher ou faire vos courses, ça n'est pas non plus l'apocalypse. Il est logique d'avoir peur, mais vain de la dompter en pliant toute forme de volonté. Aujourd'hui, on ne nous parle que du rebond, du second pic épidémique. Je ne nie pas que cela puisse arriver, moi aussi j'y pense. Mais je pense bien plus aux suicides, aux décompensations, aux violences à foison de celles et ceux qui ne tiennent plus. Je crains, surtout, les scénarios liés à des émeutes. De plus en plus, des gens ont faim. De plus en plus de gens, qui ont de plus faim et de moins en moins de choses à perdre. Les RG font fuiter des pseudo notes où ils disent craindre des manifs d'ultra gauche et d'ultra droite. Tu parles. Sans foule compacte, les black blocks et les nervis sont facile à appréhender. Ils craignent des scènes de pillages, d'émeutes, de magasins dévalisés, comme en Afrique du Sud où les gens refusent de mourir, littéralement, de faim. Ça et la réaction de flics armés m'effraye plus qu'un rebond du virus qu'on ne maîtrise pas. Faut choisir
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