Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

01/05/2020

Le conflit social n’a pas eu lieu

Quel étrange silence en ce 1er mai. Peut-être entendrons-nous quelques casserolades dans l'après-midi, mais les pavés ne seront pas battus ni le Muguet vendu en so-so-so-solidarité, avec les travailleurs et les sans-papiers. Et en cette journée internationale des travailleurs, j'entends dans ce silence la défaite par abandon du conflit social plus que jamais légitime en temps de Covid. 

Ce matin à la radio, Philippe Martinez avait la colère en sourdine. Indemnisation du chômage partiel, aides d'états, augmentation du temps de travail dans la France déconfinée, Martinez boxait en contre et sans porter ses coups avec la virulence qu'on lui connaît, notamment pendant la réforme des retraites. Tout garder pour le sanitaire, la sécurité au travail. On le comprend, évidemment, mais l'énergie dépensée pour les masques, gels et tests n'est plus là pour la remise en plat des salaires en fonction de l'utilité sociale. 

Depuis le début du confinement, les seules victoires syndicales furent d'ailleurs sur ce terrain. C'est au nom de normes sanitaires qu'Amazon a fermé ses entrepôts, que La Poste a réduit la voilure, que les routiers ont menacé de bloquer les convois et les supermarchés baissé, parfois, les rideaux. Pas pour exiger hic et nunc les 200 euros mensuels nets sur la fiche de paye auxquels toute la "première ligne" a plus que le droit. Ça, ils n'y croient même pas, si la prime de 1000 balles est bien là, ça sera ça de pris. 

Connaissez vous le 44-3 ? C'est tout aussi anti démocratique et tout aussi légal que le 49-3. Il s'agit de la proportion en % de celles et ceux qui peuvent télétravailler. 44% des cadres, 3% des employé.e.s et ouvrier.e.s. (chiffre DARES cités hier par Yann Algan). Pas un "écart" ou une "inégalité", mais un rapport de 1 à 15. Ca n'est plus une lutte de classes, mais une société de castes. France Stratégies, enclave où la lutte des classes est réservée au rayon des archives, a publié une carte de l'exposition au virus en fonction des revenus. Sans surprise, exception faite des médecins, moins vous gagnez, plus vous êtes exposés. Aussi, l'argument spécieux qui revient en boucle sur le thème "vous voulez rouvrir les écoles pour envoyer les pauvres au casse-pipe" est stupide, les pauvres y sont depuis 7 semaines.  

C'est déjà déprimant comme situation, mais il y a pire. Il y a ce qui est posé sur la table pour sortir de la nasse: travailler plus, plus longtemps, diminuer congés et autres acquis, et accessoirement baisser la dépense publique. Le budget de la recherche et de l'enseignement supérieur a été augmenté, celui de la santé va devoir l'être fortement. Attendu qu'ils ne toucheront pas à l'ISF, à la flat tax et autres et que les rentrées pour 2020 seront en chute libre, on peut s'attendre à des coupes claires (j'ai longtemps cru qu'il fallait dire "coupe sombre" mais Eric Lenoir m'a montré images à l'appui, que je me gourais...) dans d'autres pans de la fonction publique. Youpi. 

Entre la première ligne qui s'est exposée (et parfois sacrifiée) pour rien, les métiers du commun qui vont se faire rabaisser, il y a là les ingrédients d'une recette explosive et pourtant, ça n'arrivera pas. Au nom de l'injonction à ne pas sortir, ne pas se rassembler, mais aussi à cette espèce d'unité nationale autour de la restauration de la croissance, on ne parle pas du partage. Produire d'abord, réfléchir après... Si Rabelais était vivant, je suis sûr qu'il écrirait que croissance sans conscience des inégalités n'est que ruine du pays. Mais il est bien mort et la guerre picrocholine n'aura pas lieu.