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08/05/2020

Et ton frère, il est résilient ?

Ce matin, la philosophe Marianne Chaillan a rendu hommage à son confrère, le très regretté Ruwen Ogien. Ce dernier pourfendait le "dolorisme", cette idée qu'il faut accueillir la maladie comme une fête pour en faire quelque chose. Si Ogien vivait encore, il n'aurait pas de mots assez durs pour l'armée de blaireaux qui se félicitent de notre résilience collective.

Des le début du confinement, un vent de résilience balaye tout : les individus, les entreprises, les couples, les organisations... Tout devient agile et résilient, s'adapte face aux vents mauvais.... On organise force webinaires, colloques, on se congratule dans force tribunes, tout le monde est résilient et reviendra plus fort dans le monde d'après. Soudainement, ils n'ont que Nietzsche à la bouche, sans avoir jamais lu Zarathoustra, mais ils connaissent tous "ce qui ne te tue pas, te rend plus fort" et ça les rend ravis. Ogien développe très bien l'ineptie de ce concept. Si un accident vous fauche les jambes sans vous tuer, vous n'êtes pas plus fort, vous n'avez plus de jambes. Tant mieux si, après un grand travail de rééducation et de reconstruction psychique pour faire le deuil de votre bipédie, vous arrivez à vous accepter tel que vous êtes. Tant mieux. Mais dans l'écrasante majorité des cas, c'est dur. Et si vous faites partie de l'infime minorité, ne vous leurrez pas : vous ne vous êtes pas "réinventé plus fort", vous avez accepté de faire autrement.

On l'a trop oublié, mais la vulgarisation du concept, on la doit à Cyrulnik dont les parents sont morts déportés à Auschwitz et qui fut élevé par sa tante... Qu'il ait réussi à retourner ce trauma initial pour devenir psychiatre, soit. Mais ses parents sont morts à Auschwitz. Ça n'est pas anecdotique. La résilience moderne euphémise tous les traumas, tous les inconvénients pour ne voir que des opportunités. Nous sommes quelque part entre la mystique guimauve, le développement personnel et le "solutionnisme technologique" cher à Morozov. Google peut bien vanter que la technologie éradiquera la faim dans le monde, Facebook qu'ils vont bousculer l'éducation et la démocratie, on attend encore... 

Avant tout, le confinement est une régression humaine forte. C'est une saloperie que d'être reclus dans son foyer, diminué de nos relations humaines. C'est une saloperie de ne plus pouvoir aller à l'école. Le fait d'user de Zoom ou Openclassrooms pour avoir une interaction avec un enseignant, ça n'est pas "inventer l'école de demain", mais jeter des bouées à des élèves qui se noient... Quand j'entends le traitement économique ou tout le monde doit "se réinventer" pour parler de faillites, je tousse (c'est pas le Covid). Soudainement, les ondes sont pleines de ces crétins de conférenciers Ted qui disent "un entrepreneur est un type qui saute dans le vide et avant de tomber, a inventé le parachute". Sautez les premiers, hein, on vous regarde... 

La résilience, c'est ce qu'a vendu Uber aux autoentrepreneurs qu'il embauchait sans protection sociale et qui ont leurs yeux pour pleurer depuis le Covid. C'est le mantra du new public management, le discours tenu aux directeurs d'hôpitaux pour expliquer que la fermeture de lits rendrait leurs organisations plus fortes, car plus agiles avec Doctolib, plus souple grâce à des bed managers qui optimiseraient les disponibilités en temps réel. On a vu. 

Il faut arrêter avec une résilience bisounours, enfantine. Une crise, de la destruction humaine et matérielle lourde, ça n'est pas un joyeux champ de possibles, mais un moment où il faut accepter des choix pénibles. Prochaine fois que j'entends résilience en un sens laudatif, je couperai le poste, ça produira un effet positif immédiat.  

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