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06/06/2020

Extension feutrée du fascisme acceptable

La manifestation contre les violences et les meurtres policiers de mardi n'a pas dégénéré, au grand dam du préfet Lallement. Lequel a tout de même interdit celles d'aujourd'hui car le zèle est chez lui une seconde nature. Pour les soutiens d'un maintien de l'ordre violent et raciste, c'était une vraie déception : impossible de discréditer le mouvement de colère légitime par de la casse qui n'eut pas lieu. Heureusement pour eux, Virginie Despentes leur offrit une occasion de faire diversion avec une missive enflammée où elle passait en revue le racisme latent du pays depuis les palais de la République jusqu'à la rue. 

Personnellement, je n'ai pas adoré la lettre. Elle commence par une erreur factuelle "je ne me souviens pas avoir vu un homme noir ministre". Bon, disons qu'elle a mauvaise mémoire et n'en parlons plus... Pour le reste, on peut condamner les outrances hugoliennes dont elle est coutumière, mais il n'y a pas grand chose à redire sur le fond, il faut être d'une cécité toute lepéniste (je sais, c'est mal de plaisanter du sort des borgnes, mea culpa) pour contester la réalité des discriminations au logement, à l'emploi, les contrôles de sécurité arbitraire, les violences policières dont souffrent les non blancs dans ce pays. Reconnaître qu'être blanc protège de ces drames n'a rien de honteux. Ça n'est pas un appel à la haine des blancs. Ça n'est pas nier le fait que les blancs souffrent aussi. Despentes est blanche et n'a pas connu une enfance dorée et joyeuse, elle sait tout ça. Elle parle du racisme avec tripes et dégoût, que sa colère déborde ne doit pas faire oublier la justesse de la cause.   

C'était manifestement trop pour Gilles Clavreul, qui prit sa petite plume au vocabulaire leucémique et aux idées souffreteuses pour dire que Despentes avait "le même imaginaire qu'Eric Zemmour". Elle serait raciste anti blancs, en somme. Une recherche biographique sur le garçon m'apprend qu'il fut délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, ce qui est très inquiétant, et cofondateur du Printemps Républicain, ce qui remet l'église au milieu du village, ce groupuscule ayant toujours eu des relents fachos.

A la suite des Césars, la magistrale philippique de Despentes sur les violences sexuelles masculines fut, déjà, taxée de "haine des hommes" par des benêts apeurés. Ce retournement rhétorique grossier, ce backlash à la discrétion pachydermique est inquiétant en ce qu'il souligne l'extension feutrée du fascisme acceptable. Le Rassemblement National n'a plus le monopole de ceux qui qualifient les féministes "d'hystériques anti hommes" et les militant.e.s anti-racistes de "racistes anti blancs". Le Printemps Républicain rassemble des personnalités issues d'une troisième ou quatrième gauche, ce monsieur Clavreul, donc, mais aussi Laurent Bouvet auteur d'un livre ignoble, intitulé "l'insécurité culturelle". Cachez le nom de l'auteur, lisez en quelques lignes à un auditoire lambda, ils vous diront que c'est du de Villiers ou du Philippot... On trouve aussi Caroline Fourest, qui condamnait cette semaine les "violences des émeutiers aux États-Unis car on ne peut pas répondre par la violence". Rappelons que George Floyd est mort d'un côté, des vitrines Nike ou Starbucks, de l'autre... Elle a mal vieilli, tristesse... On trouve en figure tutélaire, Manuel Valls et comme invitée d'honneur récente Valérie Pécresse, tous fiers de dire "N'ayez pas peur du mot islamophobe", faisant eux mêmes ce qu'ils reprochent aux autres : cette petite coterie n'a pas de mots assez durs pour l'antisionisme qui serait mécaniquement de l'antisémitisme maquillé, mais l'islamophobie serait une version acceptable de la laïcité, une critique éclairée des religions... Ces gens là ont la laïcité à géométrie variable, et une détestation inavouée pour l'égalité.

Dans Mrs America, série historique qui vient de s'achever, on voit comment le mouvement féministe américain ultra puissant des années 70 a été freinée par des idiotes utiles, les "Eagles" avec Phyllis Schlafly en figure de proue qui traitaient les féministes de rétrogrades et réclamaient la liberté d'être femmes au foyer. Elles firent triompher Reagan et ne baissèrent jamais pavillon après, le groupe écrivant encore un soutien à Trump en 2016. 

La politique, c'est choisir. Des alliés, des opposants. Mettre sur un pied d'égalité Virginie Despentes et un révisionniste (sur le rôle de Pétain, pas sur les camps, s'entend) apologiste de la haine plusieurs fois condamné en justice comme Zemmour n'a rien d'anodin et est véritablement une dérive lamentable. Dans une rhétorique classique du pompier pyromane, Clavreul achève son texte (et son lecteur) en disant que l'époque est à faire tomber les barricades plutôt que d'en ériger. Comparer une activiste féministe et antiraciste, autrice s'exprimant de temps en temps dans une tribune, à un délinquant raciste qui jouit d'1h d'antenne quotidienne est évidemment un appel à la barricade, au jet de pavés. La division est évidemment un cadeau à ne pas offrir au RN (et dans une moindre mesure, à Macron) mais il est compliqué de ne pas s'énerver face à des provocations pareilles... 

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